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la Nord-Hollande et des richesses naturelles qui s’y débitent. Hoorn est, avec Alkmaar, le plus grand marché de beurre et de fromage qui existe dans cette contrée. Entourée de riches pâturages, cette ville surgit à la fois d’un océan d’herbe et d’un océan d’eau. Une fois par année, la grande rue, couverte de six ou sept mille têtes de bétail, présente une scène curieuse et animée. Sur une des portes de la ville, nous avons admiré deux grands bœufs en pierre fièrement sculptés ; plus bas est une femme agenouillée qui trait sa vache. L’art hollandais est peut-être le seul qui ait célébré les travaux domestiques, au lieu de poétiser le meurtre. Au moment où je visitai la ville de Hoorn, les jeunes filles couraient les rues à la tombée de la nuit avec des lumières enveloppées dans des papiers de couleur. Cet usage, dont l’origine est inconnue, rappelle la fête des lanternes qui se célèbre chez les Chinois. Le divertissement dure au moins une semaine, et les habitans semblent y prendre un goût extrême. Cette vieille ville, aperçue à la lueur des feux qui se promènent çà et là, ne manque point de caractère. On aime ses maisons chancelantes et penchées comme un homme ivre, ses auvens de bois, ses canaux remplis d’eau salée, son hôtel de ville, gracieuse construction de 1615 et retouchée avec assez de goût. Une digue solide protège la ville contre les surprises de la mer, qui, malgré cette défense, est entrée au mois de janvier 1855 dans une des rues[1]. Son port est hanté par des bâtimens de commerce qui distribuent non-seulement aux Pays-Bas, mais à la Belgique, à la France et surtout à l’Angleterre, les richesses agricoles qui s’échappent de la ville comme d’une corne d’abondance. Deux cents pêcheurs environ, logés pour la plupart dans des cabanes, vivent à Hoorn des fruits de la mer. Nous sommes ici au milieu de ces filets qui ont porté si haut et si loin l’ancienne prospérité de la Hollande. L’histoire de la pêche se lie étroitement à l’histoire de la navigation et des découvertes maritimes. On ne sait point assez l’influence que cet art utile a exercé sur la connaissance du globe, en créant des marins habiles et intrépides, des chercheurs de terres nouvelles. Hoorn fut le berceau du navigateur Willem Schouten, qui, en 1616, doubla la pointe la plus méridionale de l’Amérique, à laquelle il donna le nom de sa ville natale. On devrait donc écrire cap Hoorn.

De Hoorn à Enkhuisen, nous traversons par terre une chaîne de villages bien autrement curieux que Broek, qui n’est après tout qu’un décor d’opéra-comique. De jolies maisons mi-partie de bois et

  1. Ce jour-là, tous les habitans étaient sur pied : une milice bourgeoise, dont les fonctions consistent à repousser les eaux, lit vaillamment son devoir. Un des moyens les plus simples et les plus ingénieux dont on se sert pour opposer un obstacle à l’ennemi, quand la mer a troué une digue, c’est d’étendre des toiles dans l’eau sur la blessure ; la mer, qui ronge la pierre, ne peut mordre cette surface lisse, et se retire humiliée.