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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/397

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tendresse ; mais personne ne savait le choyer comme la Bouillargue, qui matin et soir lui bourrait les poches de friandises.

— Je pensais bien que la chance nous viendrait tôt ou tard, disait le Sendric ; le tout est de savoir attendre. On va donc entendre parler de mes mécaniques !

Avec les grandes richesses du bourrelier, il y avait de quoi payer toutes les dettes, prendre les brevets et construire enfin les belles machines projetées, à commencer par ce moulin à vanner le blé dit ventaire, dont le modèle en réduction était exposé sous cloche, à la plus belle place, derrière les étagères du tour. Ce musée secret n’était connu que de la Damiane et d’Espérit. Espérit avait aidé le Sendric dans son travail ; à eux deux ils avaient façonné le chef-d’œuvre avec des planchettes, des bouts de fer-blanc, des tôles et des ressorts de montres. Le petit moulin jouait à ravir. Lorsque le Sendric était bien triste, il venait au hangar, ouvrait la cachette, et, pour se donner du courage, il faisait tourner son petit moulin.

A la levée des scellés, le Mitamat se rendit à Brantes avec l’ami Espérit. La maison du bourrelier avait été mise à sac par les gens de loi ; ils avaient poussé leurs recherches jusqu’au grenier. Tous les placards étaient descellés, pas une cloison, pas un creux qui n’eût été sondé à coups de marteau ; on en retrouvait partout la trace. La cuisine avait été dépavée, les étagères étaient à terre, la paillasse éventrée avait été répandue sur le sol, et les feuilles sèches voltigeaient de tous côtés au milieu de liasses d’almanachs entassées en désordre au fond de la cheminée. Le Mitamat, homme soigneux et méthodique, reprit le classement de ces brochures avec les plus grands soins, dans les règles, année par année, à partir du premier cahier. Dans ces piles d’almanachs, il y avait une dernière liasse, déliée à peine, et que les hommes d’affaires, fatigués, pressés d’en finir, n’avaient feuilletée que du bout des doigts. En dépliant curieusement ces livrets, sans se hâter, page à page, le Sendric découvrit un carré de papier jauni, cacheté à triple cachet, sous la couverture d’un Messager boiteux. Ce chiffon de papier était un testament olographe parfaitement rédigé, écrit séné en lettres menues, d’une main ferme, sans ratures, daté, signé, inattaquable, par lequel le bourrelier instituait héritiers des parens très éloignés, au détriment des Sendric de Seyanne. Ce testament était longuement motivé, il y était parlé très amèrement des utopies du père Sendric, et l’oncle déclarait qu’il ne voulait pas que sa fortune tombât dans les mains d’un lunatique pour être dilapidée en inventions, sornettes, almanachs et visions cornues de Mitamat. L’histoire de l’âne peint était racontée, comme on pense, et dans le plus grand détail ; par surcroît, le Sendric était accusé formellement de chercher le mouvement