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l’impossibilité de franchir l’enceinte de ces régions inhospitalières. Ce dernier raconte qu’ayant voulu s’aventurer jusqu’au village arménien de Hadchin, le chef turkoman de cette contrée lui fit intimer l’ordre de la quitter immédiatement, et il dut s’empresser prudemment d’obéir à une injonction qui n’admettait point de réplique. C’est sans doute par une exception due à l’inviolabilité qui entoure en Orient tout ce qui est harem[1] que Mme la princesse Belgiojoso, dans son voyage d’Angora en Syrie à travers l’Asie-Mineure, a trouvé chez Moustik-Bey une hospitalité dont elle racontait ici dernièrement le piquant épisode[2].

Si l’on embrasse d’un coup d’œil la projection de la péninsule asiatique, il est impossible de ne pas être frappé de la différence très marquée qui caractérise la forme de ses côtes, suivant les mers qui les baignent, et ce contraste très remarquable, non-seulement sous l’aspect physique et pittoresque, mais encore pour les conséquences historiques auxquelles il a donné lieu, a été mis en lumière par M. de Tchihatchef avec beaucoup de sagacité. L’extension réelle des développemens littoraux de l’Asie-Mineure, et celle des lignes droites réunissant les points entre lesquels ces développemens sont compris, est à peu près dans le rapport de 1 à 2 sur les côtes sud, nord et nord-ouest, et au moins de 1 à 3 sur celle de l’ouest. Ainsi, dans les trois premières directions, les ondulations du littoral ont plus que le double de la longueur de la ligne droite, tandis que sur le bord occidental elles dépassent cette ligne de plus du triple. En d’autres termes, une longueur totale de quatre cent trente-deux lieues de lignes droites correspond à un développement réel de près de onze cent quatre-vingt-dix-neuf lieues. Les contours littoraux de la France, quoique très accidentés, ne présentent point des sinuosités aussi tranchées. De tous les pays de l’Europe, l’île de la Grande-Bretagne est celui qui sous ce rapport se rapproche le plus de l’Asie-Mineure, qui ne le cède qu’à la péninsule hellénique, dont les lignes côtières offrent à l’œil la plus riche variété, particularité qui, suivant la remarque du savant Heeren, est l’une des causes qui expliquent comment la Grèce l’emporta en puissance et par sa civilisation sur tous les autres peuples de l’antiquité, quoiqu’elle leur fût inférieure par l’étendue de son territoire.

Dans l’Asie-Mineure, les mêmes causes ont produit, dans les âges qui ont précédé le nôtre, un phénomène analogue. Nous avons fait remarquer que, pour la fréquence et le groupement des ondulations, la côte occidentale a l’avantage sur celles du nord et du sud. En effet, les anfractuosités y sont réparties sur toute la ligne de projection, tandis que sur le littoral septentrional et méridional, elles sont concentrées sur quelques points seulement. Si l’on suit la côte occidentale en remontant du cap Cavo Crio (Triopium promontorium), au sud, jusqu’à l’entrée de l’Hellespont, quelle admirable succession de ports, d’anses et de criques qui s’ouvrent à toutes les exigences de la navigation, à tous les besoins du commerce, avec cette rangée d’îles

  1. Le mot arabe harem signifie tout ce qui est sacré, interdit à l’accès du vulgaire, et par suite l’habitation intime de la famille, ainsi que les femmes et les jeunes enfans, relégués, dans cette partie de la maison.
  2. Livraison du 1er mars 1855.