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ils sont très nombreux. Leur moralité fait honneur à leur doctrine.

L’élément musulman est à peu près le seul dont il faille tenir compte quand on s’occupe de la population tripolitaine. Cette population ne dépasse pas cinq cent mille âmes, et à l’exception de deux ou trois mille juifs, elle est toute vouée à l’islamisme, car il est à remarquer qu’il n’existe pas de chrétiens indigènes dans les provinces barbaresques. Ceux qu’on y voit sont venus d’Europe et ont conservé leur langue et leur nationalité, quoique quelques-uns appartiennent à des familles établies dans le pays depuis plusieurs générations. On compte à Tripoli près de douze cents de ces chrétiens, et de cent cinquante à deux cents à Bengazi; les Maltais en forment la grande majorité. Tous vivent sous la protection de leur consul et ne sont justiciables que de lui seul. Je ferai observer à ce sujet que d’après la règle établie par l’usage, et que l’on peut considérer comme consacrée par les traités ou capitulations, dans les affaires criminelles ou civiles mixtes, c’est-à-dire celles où une partie est chrétienne franque et l’autre musulmane, la cause est portée devant le juge du défendeur. Il résulte de ce principe qu’un sujet de la Porte peut se trouver obligé de poursuivre dans son propre pays la répression d’un crime ou délit devant un juge étranger, et même, quand il s’agit d’un crime, devant un tribunal non-seulement étranger, mais siégeant en pays étranger, la cour d’Aix par exemple en ce qui concerne la France. C’est là certainement une coutume qui peut paraître monstrueuse en théorie, mais qui en réalité n’entraîne pas de grands inconvéniens dans des contrées où toutes les affaires peuvent aboutir à des réparations pécuniaires et s’arranger ainsi à l’amiable. D’ailleurs, à l’époque où cette règle fut établie, l’administration de la justice était telle en Turquie, que les Européens n’auraient pu y vivre en sûreté sans ces garanties. De nos jours, les choses semblent tendre à s’améliorer. La Porte a voulu essayer, pour les affaires mixtes, d’un régime plus conservateur de ses droits de gouvernement indépendant. Elle cherche à établir, partout où besoin est, une sorte de cour présidée par le pacha gouverneur de la province pour juger les Européens poursuivis par ses sujets; mais la sentence est soumise au veto du consul, qui en définitive reste ainsi le juge suprême. Du reste, il est dit que tout témoignage sera reçu devant cette cour, contrairement à l’ancienne loi qui rejette celui des chrétiens. On ne peut nier que le gouvernement de Constantinople ne fasse en ce moment de très louables efforts pour faire disparaître de l’administration de la justice toute anomalie choquante, toute exception humiliante pour les chrétiens. S’il n’est pas toujours parfaitement secondé dans les provinces, c’est moins souvent peut-être par mauvais vouloir de