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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/488

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à l’heure même où tout semblait perdu, et combien, depuis ce moment, cette amitié lui était secourable ! Il se rappelait alors ce que

Marcel lui avait raconté souvent de sa mère, quelle avait été l’affection constante de la Sendrique sur son fils, et cette protection toujours efficace qu’elle étendait sur lui pendant les longues séparations.

De loin comme de près, la Damiane venait en aide à Marcel et le soutenait d’une main ferme. Pendant les années passées loin de Seyanne, le jeune homme avait eu souvent des heures d’épreuve où il sentait faiblir son courage. L’image attristée de la Damiane se prenait alors à ses yeux, et la certitude entrait en lui, vive, directe et poignante, qu’il ne pouvait faillir sans qu’aussitôt tous ses actes n’eussent un douloureux retentissement dans le cœur de cette pieuse femme, si cruellement frappée, et qui ne cessait de s’offrir en sacrifice. Puis, comme si de ses propres mains il eût craint d’élargir les blessures de cette âme déchirée, il s’arrêtait saisi de terreur, et le mal était vaincu. À son retour à Seyanne, lorsque Marcel fit ses confidences à sa mère, il la trouva informée de ce qui s’était passé. Au moment même où Marcel était en péril, elle en avait toujours eu la divination : il lui était donné un avertissement certain, elle se mettait en prières, l’âme serrée d’angoisses, et son fils recevait un grand secours. En tout temps elle veillait sur lui, et son amour l’enveloppait comme une armure de diamant ; les glaives de Satan s’y seraient brisés. Si Marcel était revenu au milieu des siens avec toute sa jeunesse, dans toute la grâce de son innocence, il le devait à sa mère ; il lui devait aussi cette simplicité d’esprit qu’il avait gardée dans sa fleur. Et pourtant qui fut plus exposé que lui ? Quelles tentations subtiles autour de cette âme ardente et pure, enthousiaste, ouverte à toutes les sympathies ! Que de fois, dans ses premières années de jeunesse, Marcel était revenu chez sa mère, incertain et troublé, l’esprit ébloui et comme fasciné par les chimères ! Dans ce village de Seyanne, auprès de la Sendrique, dans la société de cette paysanne, il retrouvait tout à coup le ton juste, le ton de son âme. Quelle douceur alors, quel rafraîchissement d’esprit inexprimable ! Par sa mère, il rentrait dans l’unité, dans l’harmonie, dans la nature première ; il touchait à l’intimité des choses réelles, à la vie même, à la vraie vie. La Damiane était Là au foyer domestique, comme la vestale romaine sur les marches de l’autel, attentive et fidèle, veillant au feu sacré, et sans cesse d’une main pieuse elle ranimait cette pure lumière, la flamme de l’esprit.

C’était une âme pleine de constance. Gardienne des vieilles mœurs les traditions de la race, du génie de la maison, de la foi chrême, gloire et richesse des bonnes familles, elle mettait son honneur à conserver ce trésor des croyances qu’elle tenait des aïeux,