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chez les musulmans que chez les chrétiens qui ont le malheur de la consacrer chez eux, comme les Russes et les Américains. Il ne faut pas oublier non plus qu’en 1844, c’est-à-dire à une époque où nous hésitions encore à abolir l’esclavage dans nos colonies et où nous le tolérions en Algérie, un petit prince musulman, le bey de Tunis, le fit radicalement et complètement cesser dans ses états.

Les produits de l’Afrique centrale n’arrivent pas tous à Tripoli même; Ghadamès et Bengazi en ont leur part. Ghadamès reçoit les produits de l’Afrique centrale, soit de seconde main par le Fezzan et le grand marché de Graat, soit directement de Kano et de Tombouctou. Bengazi, qui a été longtemps sans communication avec ces lointaines contrées, reçoit maintenant des caravanes de l’Ouaday. L’Ouaday est un état nègre musulman situé au nord-est du Bournou, dont il est limitrophe, et sous le même méridien que la Cyrénaïque, dont le séparent trois cent cinquante lieues de désert. Au commencement de ce siècle, cette contrée était gouvernée par une sorte de réformateur, le sultan Saboun, qui cherchait à introduire chez lui quelque chose de l’industrie européenne. Il s’était mis, par le Fezzan, en relations commerciales assez suivies avec Tripoli. Après sa mort, en 1816, l’Ouaday fut pendant plusieurs années en proie à de violentes guerres civiles, et les opérations des caravanes furent suspendues. L’ordre ayant été rétabli par Mohammed-Salah, surnommé le sultan chérif, qui régnait encore dans l’Ouaday lorsque j’ai quitté l’Afrique en 1852, on voulut les reprendre; mais lors de l’avènement de Mohammed, Tripoli et le Fezzan étaient eux-mêmes agités par les troubles qui amenèrent la chute des Caramanli : la caravane se dirigea donc sur Bengazi à travers l’affreux désert de Lybie, en passant par Kébabo[1]. Elle périt presque tout entière dans ce dangereux parcours, qu’elle ne connaissait pas bien. Ce désastre ne découragea pas Mohammed-Salah, qui, en 1836, fit partir pour Bengazi une caravane d’exploration beaucoup moins nombreuse et beaucoup mieux pourvue que la première. Celle-ci arriva heureusement à sa destination; mais elle ne trouva pas à Bengazi les ressources commerciales qu’y cherchaient les gens de l’Ouaday. Probablement le rapport qu’elle en aurait fait à son retour aurait détourné à jamais les caravanes de cette échelle, si M. Robert, négociant français, dont j’ai eu occasion de parler au sujet des soufres de la Syrte, ne se fût engagé à y faire arriver les marchandises dont elles avaient besoin. La ligne de communication s’établit donc; mais quoiqu’une expérience chèrement achetée tende sans cesse à la rectifier, elle est encore sujette à de terribles accidens,

  1. Ce point est désigné sous le nom de Febabo sur les cartes d’Afrique. Cela tient sans doute à ce que, en Barbarie, le kaf, qui est la première lettre du mot Kebabo, s’écrit avec un seul point diacritique superposé, ce qui en fait le fa de l’alphabet asiatique.