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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/537

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donner un symbole de l’union future du catholicisme et du protestantisme, de la philosophie libérale et de la tradition chrétienne, du nord et du midi, du passé et de l’avenir, des jésuites italiens et des francs-maçons d’Allemagne, nous sommes forcé de déclarer que ce symbole aurait pu être plus clair. Si c’est simplement une histoire vraie, il Tant attendre pour y ajouter foi que M. Kühne ait produit ses pièces justificatives sur Ganganelli et le cardinal de Bernis.

Parlons sérieusement, M. Gustave Kühne a commis la plus incroyable bévue que puisse commettre un homme d’esprit. L’auteur des Francs-Maçons n’est certainement pas un écrivain vulgaire ; il cannait bien le XVIIIe siècle allemand, et son livre même, au milieu de tant d’énormités, renferme d’ingénieux épisodes. Le début est plein de poésie et de grâce. Le pauvre fils de la princesse Justine et du comte della Torre relégué par la rancune de son grand-père chez un garde de la forêt et élevé dans une complète ignorance de son sort, la présentation du jeune homme à son terrible aïeul, le contraste de sa naïve existence rustique avec les formalités de l’étiquette, ses premières impressions à la cour, la terreur que lui inspire le prince, son entrevue avec Wieland, avec Lavater, ce sont là autant de chapitres où se retrouve le talent du peintre, et qui rendent plus inexplicables toutes les extravagances qui suivent. En général, M. Kühne est à l’aise quand il parle de la société allemande du XVIIIe siècle; dès qu’il entre en Italie, dès qu’il met le pied dans le Vatican et dans les cellules du Gesu, il supplée à l’étude par les imaginations les plus folles. Les erreurs de M. Kühne sont de telle nature, que l’idée ne me serait pas venue de juger ici son livre, si M. Otto Müller n’avait cru devoir le publier dans la collection des romans qu’il propose comme des modèles. La critique devait un avertissement à M. Otto Müller aussi bien qu’à M. Gustave Kühne. Le chef de cette réunion littéraire est tenu d’exercer un sérieux contrôle sur les œuvres dont il accepte le patronage; sinon, quel est le sens d’une pareille entreprise? Au surplus, l’auteur des Francs-Maçons est homme à prendre sa revanche. Qu’il sache mesurer ses forces, qu’il ne demande pas à ses facultés plus qu’elles ne peux eut lui fournir, c’est la première condition du succès. M. Kühne a débuté, il y a une vingtaine d’années, par des romans où certains mérites d’élégance et de finesse ne relevaient pas suffisamment une imagination languissante. Engagé dans le mouvement confus de la Jeune-Allemagne, il s’en est débarrassé à temps, et il est devenu un critique fin et sagace, un historien littéraire rempli de pénétration. Il reprend aujourd’hui les tentatives infructueuses de sa jeunesse, et il semble qu’il veuille faire oublier sa stérilité d’autrefois par des excès d’audace. Cette audace-là malheureusement pourrait s’appeler d’un autre nom. M. Gustave Kühne se défiera d’une inspiration