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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/576

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descente en Sélande, où l’on offrirait au roi de Danemark le choix entre l’abandon volontaire de la Norvège ou la guerre ouverte. S’il acceptait la première alternative et se joignait à la coalition, on s’engagerait à lui donner une compensation qu’on prendrait facilement sur le territoire envahi par les Français autour de l’Elbe, dans le voisinage du Danemark. — Au cas où l’empereur de Russie accepterait ces conditions, il devait envoyer à Stockholm un plénipotentiaire pour achever le traité après avoir fixé la part que prendrait la Suède à la guerre après la réunion de la Norvège. Une lettre du prince royal au tsar, jointe à ces instructions, lui recommandait d’ailleurs la plus grande hâte et lui vantait la magie du premier instant. Des conseils pour le cas d’une guerre défensive, si elle devenait subitement nécessaire, une offre de médiation pour amener la paix entre la Russie et la Porte, enfin le projet d’un rapprochement entre l’Angleterre, la Russie et la Suède, étaient les corollaires des premières propositions.

Alexandre, à l’arrivée du comte Charles, était plongé dans la plus profonde irrésolution. Les avis se partageaient parmi ses conseillers ; d’un côté, son ministre Romanzof, avec un parti considérable, se prononçait pour la paix avec la France ; de l’autre, un Armfelt, avec les principaux chefs de la noblesse et de l’armée, voulait la guerre acharnée contre Napoléon. Fallait-il préparer seulement la défense ou tenter une attaque ? fallait-il croire invincible le génie du conquérant et s’atteler à son char glorieux ? Le poids des résolutions prises à Stockholm décida de la réponse. Arrivé le 18 février à Saint-Pétersbourg, le comte Charles fut reçu le 20 par l’empereur Alexandre. Après la remise des lettres dont il était chargé et après les complimens d’usage, l’empereur lui-même aborda la principale question. « J’attache le plus grand prix, dit-il, à mes relations d’amitié avec la Suède, et je serais particulièrement charmé, dans les circonstances présentes, d’apprendre quelles sont les vues de son altesse royale. La Russie et la Suède, si longtemps ennemies, ont à présent les mêmes intérêts et ne doivent dorénavant ni se nuire ni se soupçonner même… Il faut ensevelir pour toujours le passé dans l’oubli ! La destinée des souverains est souvent, hélas ! défaire violence à leurs sentimens personnels pour n’écouter que la raison d’état. De malheureuses et regrettables circonstances m’ont amené à donner à mon empire une nouvelle frontière. Le mal est fait. La Russie a désormais une frontière naturelle ; il ne peut plus y avoir entre nous aucun sujet de division. » Alexandre s’interrompit un instant. « C’était évidemment, dit M. Bergman, l’émotion causée par de si tristes souvenirs qui troublait sa voix et voilait son regard. Son œil était humide, à ce bon prince, en prononçant cette oraison funèbre ! La vue seule des murs de ce cabinet suffisait à lui rappeler de douloureuses pensées. » Cela