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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/586

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Russes, comme Pozzo di Borgo, Czernitchef et Suchtelen; des Anglais, lord Cathcart, l’amiral Bentinck, le général Hope; des Autrichiens, les comtes Wallmoden et Neipperg; des Prussiens, comme Gneisenau et Dorenberg; enfin des Français, comme le comte de Nouilles, qu’allait rejoindre bientôt Mme de Staël. Ce n’était pas un médiocre plaisir, on peut le croire, pour l’ancien sergent du régiment de Royal-Marine de se voir transformé en Agamemnon, pour le fondateur d’une nouvelle dynastie de voir à sa cour les représentans de toutes les anciennes familles de rois. Chaque offre nouvelle qu’il recevait de Napoléon ou bien d’une des puissances alliées ajoutait plus de valeur à sa coopération et autorisait de sa part des prétentions plus élevées. Aussi voit-on, pendant la négociation de Signeul, son attitude envers Napoléon se modifier, à son insu peut-être, et malgré le voile dont il veut se couvrir. En avril, il accueille les propositions de l’empereur et parlemente pour gagner du temps, car l’Angleterre n’a pas encore accédé au traité de Saint-Pétersbourg. En mai, cette convention est signée, et la mission secrète du général Tavast a procuré la paix de Bucharest entre la Russie et la Turquie: bien que le cabinet de Londres n’ait pas encore fait son traité particulier et n’ait pas encore formellement garanti la Norvège, Bernadotte est sûr de ce prochain succès : il lève la tête. Cette dernière négociation s’achève enfin le 18 juillet; il ne se contraint plus, et répond au silence méprisant par lequel Napoléon a puni la note dictée à Signeul en publiant une protestation contre l’occupation de la Poméranie, une déclaration de neutralité armée, et une ordonnance qui ouvre les ports de la Suède à toutes les nations.

Ainsi, tant qu’a duré la négociation de Signeul, Bernadotte s’est appliqué à fortifier, à élargir les bases de son alliance avec l’Angleterre et la Russie. Il l’a fait, disions-nous, dans le plus profond mystère. Chose incroyable! Napoléon était partout trompé. On le voit, en mars, choisir, pour aller auprès d’Alexandre combattre la mission du comte de Löwenhielm, ce Czernitchef qui l’a déjà si effrontément trahi. Signeul lui-même n’est autre que l’ancien jacobin détesté de Napoléon, et qu’il a fait sortir de France en 1811. A la fin de cette année 1811, Signeul conseille au prince royal de Suède « l’expectative d’abord, puis, au moment décisif, une alliance avec l’Europe contre l’ambition et le machiavélisme de l’empereur. — Je connais ses ruses, dit-il à cette époque; ne vous fiez jamais aux propositions qui noms viendront de sa part. Il faut se conduire envers lui comme fait l’homme prudent envers son ennemi. » Voilà le négociateur qui s’est offert à Napoléon, et qu’il a agréé ! Comment concevoir que Napoléon n’ait appris qu’en août le traité du 24 mars entre la Suède et la Russie, traité confirmé par la convention de Vilna du 15 juin?