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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/742

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d’une œuvre aussi importante. La Léda vaut encore moins que la Vénus. Elle rappelle la composition attribuée à Léonard de Vinci et gravée par Forster, mais elle la rappelle d’une manière bien infidèle. Il y a dans cette figure d’ivoire une raideur qui ne convient pas à la nature du personnage. Cette gracieuse invention de la mythologie païenne a trouvé dans M. Froment-Meurice un interprète malencontreux. La poitrine n’a rien de vivant, les bras ne sont pas modelés, les cuisses et les jambes méritent le même reproche. Je ne sais pas si le même ouvrier a sculpté la Vénus et la Léda ; ce que je sais, ce qui frappe tous les yeux, c’est que dans cette dernière figure d’ivoire n’est pas aussi habilement taillé. Le cygne en argent noirci n’est pas d’un heureux effet. Cette coloration de l’argent par le soufre, qu’on appelle dans le commerce argent oxydé, n’était pas indiqué par le sujet. L’argent mat eût certainement produit un effet plus heureux. Certes, avec la composition attribuée à Léonard de Vinci, il eût été facile de trouver dans l’ivoire et le métal quelque chose de plus élégant et de plus jeune.

Il y a dans la vitrine de M. Froment-Meurice deux pièces d’orfèvrerie en argent repoussé, qui méritent un examen plus sérieux que la ''Vénus et la Léda. C’est dans ces deux vases garnis de fleurs et de fruits qu’on peut mesurer le goût du signataire, sinon de l’auteur, qui nous est inconnu. C’est là qu’on peut estimer l’intervalle qui le sépare de Benvenuto Cellini, à qui des amis imprudens n’ont pas craint de le comparer. Au premier aspect, ces deux vases sont très séduisans. La saillie des figures est bien calculée. Les parties mates et les parties brunies se marient harmonieusement. Cette première impression s’évanouit bientôt, si l’on pousse plus avant la curiosité. Les figures repoussées, qui, grâce à la couleur du métal, ont d’abord charmé les yeux, ne supportent pas l’examen. Vous apercevez des enfans qui lèvent le bras pour atteindre une grappe de raisin, et qui sont dessinés d’une façon ridicule. L’auteur du modèle, quel qu’il soit, ne s’est préoccupé ni des proportions ni de la perspective. Le bras levé est d’une longueur démesurée ; l’épaule n’est qu’une masse informe. La cuisse droite, qui devrait être vue en raccourci, n’est qu’un tronçon ; en un mot, dans cette œuvre si séduisante au premier aspect, toutes les lois du dessin sont méconnues avec un sans-façon que je ne puis m’expliquer. Repoussé ou fondu, l’argent ne dissimule ni l’ignorance ni la maladresse. Les deux vases dont je parle, malgré la beauté du métal, ne peuvent être acceptés comme des œuvres sérieuses, car le point capital était de modeler des figures, et M. Froment-Meurice a négligé ce point capital.

Il est donc permis d’affirmer que le nom de cet orfèvre est un nom surfait. Il y a dans sa vitrine des bijoux que les femmes regardent