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tante et la Zounet s’étaient déjà emparées des banquettes du devant : jusqu’au dernier moment, Mlle  Blandine avait juré ses grands dieux qu’elle ne mettrait pas les pieds au théâtre ; au départ, elle s’était fait prier, supplier, quoiqu’elle mourût d’envie de venir.

On commença par les luttes. Avignon avait envoyé le célèbre Quiquine, et l’ambitieux Djindjourle était venu de La Palud pour se mesurer avec cette vieille gloire ; mais la foule impatiente se montra d’une grande indifférence pour ces jeux, si populaires dans le midi qu’ils portent par excellence le nom de joies. Les prix de la course et du saut furent mollement disputés ; à peine applaudit-on la belle Rosine, qui la première atteignit le but, le broc sur la tête, ras jusqu’aux bords, sans répandre une seule goutte d’eau sur ses brillans atours ; tout l’intérêt de la journée était à la tragédie.

À deux heures, un immense cri de joie s’éleva, les cloches sonnèrent à toutes volées, les fanfares éclatèrent, les confrères de Sainte-Barbe mirent le feu à leur artillerie, les tambours battirent aux champs, et la toile se leva.

Un grand silence se fit ; Espérit et Marcel étaient en scène.

Espérit s’avança lentement, gauchement, tête basse. A deux pas de la statue de Pompée, il s’arrêta net, les bras collés au corps, tremblant, très ému, les lèvres glacées, l’œil fasciné par les yeux ardens de la foule. Marcel lui tendit la main ; Espérit se sentit tout à coup une grande assurance. Sous la toge et le laticlave, il se retrouvait Espérit comme devant, la tragédie était bien oubliée ; sans nul souci de la chose romaine et des antiques discordes, loin du Capitole et de la sanglante Italie, il ne vivait plus qu’à Lamanosc, au milieu des siens, au grand jour de la Saint-Antonin. Ce n’était pas le Tibre, mais la rivière de Mèdes qui roulait ses eaux rougies par les sables, au pied de la colline, à travers les romarins et les lavandes. Dans le rôle du consul Marc-Antoine, il ne voyait plus qu’une chose, l’amitié fidèle ; Jules César, c’était Marcel ; il mettait sa fierté à lui rendre témoignage en public, et cette langue éclatante du vers l’enchantait comme une forme plus haute et plus lumineuse donnée à sa pensée.

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Antoine, tu le sais, ne connaît point l’envie :
J’ai chéri plus que toi la gloire de ta vie.
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Content d’être sous toi le second......
Plus grand de te servir que de régner moi-même,
Ta grandeur fait ma joie............

Il prononça ces vers avec un accent d’éloquence vraie ; dès ce début, les sympathies du public étaient conquises. Marcel lui répondit. — Ah ! qu’il a bonnes façons ! disaient les femmes en faisant