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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/790

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Des chants rauques et des roulemens de tambour se firent entendre tout à coup du côté des vergers. Une bande de jeunes gens déboucha sur la route, tourna la colline au pas de course, et vint prendre position à l’entrée de l’enceinte formée par la ligne des charrettes. Le maire les compta ; ils étaient bien cent cinquante, tous de Lanjade et de Meyrenc. Cette farandole était menée par un grand maigre du nom de Sambin, agile, déhanché, tout vêtu de bazin blanc, avec des chaînes d’or sur la chemise entr’ouverte, — un faraud. D’une main il faisait flotter son drapeau, et de l’autre il relevait le mouchoir qui formait le premier anneau de la farandole. Tout en gambadant, il entraîna la colonne en avant jusqu’à l’orchestre. Arrivé là, il battit quelques brillans entrechats, et retomba sur un seul pied, la tête en arrière, le drapeau sur la hanche. Alors la farandole vint se dérouler autour de lui, tourna et passa sous l’arcade formée par les mains unies des deux premiers danseurs. Pendant ce défilé, le tambour battait la charge, et Sambin, pirouettant toujours, agitait le drapeau et le lançait au-dessus de sa tête, comme une flèche, jusqu’aux plus hautes branches ; puis, le rattrapant en l’air, il le jetait de côté pour le faire virer sous jambes, à grande vitesse, au ras du sol, en jonglant des deux mains. C’était un défi en règle, une provocation insolente ; le peuple de Lamanosc y répondit par des cris de fureur. Alors le bataillon silencieux des gens de Lardeyron se leva et cria tout d’une voix : Vive Lanjade et vive Meyrenc !

— À mort ! à mort ! répétaient les jeunes gens de Lamanosc en bondissant autour des charrettes jusqu’à l’orchestre ; en bas Meyrenc ! en bas Lanjade et Lardeyron ! à mort ! à mort !

Cayolis récita ses deux vers d’une voix forte, puis, jetant bas son costume de sénateur, il cria : — Attends-moi, Sambin, je suis ton homme.

D’un bond, le maire Tirart se trouva en tête de la farandole ; il s’élança sur Sambin, et d’un mouvement si brusque, qu’il put enlever le drapeau au passage ; il saisit Sambin par le bras, et l’arrêta net devant lui.

— Vrais ou ennemis ? dit-il, répondez ! Si c’est amis, prenez vos places, et malheur à qui vous attaque ! Si c’est ennemis, qu’on le sache. Venez-vous pour la bataille ? Dites-le ; j’en suis, qui en veut ? Les gendarmes ne sont pas loin ; vous ne voyez ici que l’avant-garde. J’ai écrit au préfet ; il en arrivera de tous côtés pour vous fusiller. Ah ! le premier de vous qui vient troubler ma commune, je le brûle, S’il n’aime mieux aller en cour d’assises. Et toi, Sambin, je te connais par ton nom, tu me réponds de tout. S’il arrive malheur, je te fais fusiller sur place pour l’exemple. Gendarmes, chargez les carabines ! Allons ! tais-toi et tiens-toi, grand cadeou ! cadélas !