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fanfaronnes à la manière antique. Entre eux tourbillonnait la bande de manœuvres, arrogans et moqueurs, lancés en avant comme des tirailleurs pour engager la bataille. Il en sortait de tous côtés, ils se pressaient autour des charrettes, avec des cris de bêtes, des risées, des sifflets, se sentant excités, soutenus, usant très largement de leur droit d’insolence. Il fallait les disperser à tout prix, car déjà les gens de la farandole s’avançaient sur eux. Le maire tira sa grande bourse de cuir, et jetant à poignées toute sa monnaie au milieu des groupes d’enfans : — Allons, les mousses ! un tire-poil, tiro-peou ! tiro-peou.

Ce jeu brutal est très populaire dans le pays. L’ardeur de ces petits sauvages égaya quelque temps les spectateurs des deux partis. Tous ces enfans s’arrachaient les cheveux à poignée pour se disputer les sous. Les plus maltraités se frottaient la tête, essuyaient leurs oreilles saignantes, en criant : Moi, je ne sens rien, je suis bronzé. Encore des sous ! Je ruinerais le maire. Tiro-peou ! tiro-peou !

Mais l’attention du public se lassa bientôt ; ce n’était qu’un quart d’heure de gagné. Comment occuper cette foule indisciplinée jusqu’au lever du rideau ? Le maire fit annoncer que les luttes allaient être reprises ; il monta sur l’estrade pour signifier au peuple qu’un prix de cinquante francs allait être disputé à la lutte par la jeunesse, et il ajouta de très mauvaise humeur : — Je les prends de ma poche, l’argent est dur à gagner !

Cette lutte fut très animée. Lamanosc fut battu ; le maire allait décerner le prix au jeune vainqueur de Lardeyron, lorsque Cabantoux, qu’on n’attendait pas, entra en lice. En quelques secondes, il eut terrassé le Lardeyronenc. Cascayot vint balayer avec sa veste le sol piétiné par les athlètes, et, regardant le vaincu, il lui dit : — En cas que tu tombes encore, je te fais une belle place. — Du côté de la farandole, des voix irritées criaient : Il n’est pas tombé ; il n’a pas touché de l’échine ; il n’a touché que d’une épaule, — le revenge, le revenge ! Le lutteur de Lardeyron s’était relevé et défiait le fadad ; Cabantoux le renversa de nouveau à plat sur le sable, et si grande que fût la mauvaise foi des gens de la farandole, ils ne purent contester cette victoire. Humiliés, furieux, ils s’apprêtèrent de nouveau à la bataille.

Après les luttes, le maire fit battre un ban. — Aux trois sauts ! dit-il en faisant tinter une bourse. Il se rassit en maugréant. En proclamant ce nouvel exercice, le maire voulait ménager un triomphe à la jeunesse des villages. A Lamanosc, il y a de forts lutteurs, mais les gens de Meyrenc passent pour plus adroits, plus agiles. Depuis quatre ans, Sambin promenait dans toutes les votes la gloire de son village ; douze écharpes d’honneur frangées d’argent, suspendues dans sa cuisine autour de son fusil, attestaient ses victoires.