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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/831

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du temps présent. M. Wilkie Collins, artiste avant tout, est d’un autre tempérament. Ses opinions, en tant que manifestées çà et là sans qu’il prenne plaisir à les étaler emphatiquement, ses opinions sont vraiment libérales, hostiles à l’hypocrisie, aux préjugés orgueilleux, aux tendances mercenaires qui sont les vices caractéristiques de l’Angleterre actuelle. Il hait, on le voit, le cant nasillard et les prescriptions minutieuses du faux puritanisme ; il mesure et toise d’assez haut la vanité nobiliaire, l’acceptant lorsqu’elle est le mobile d’actions généreuses, la raillant impitoyablement dès qu’elle se complaît en de vaines prétentions. Enfin il n’a qu’ironie et dédain pour l’aristocratie de comptoir, son égoïsme calculateur, ses allures tour à tour absolues et serviles, son éloignement naturel pour tout ce qui fait la grandeur de l’intelligence et la poésie de l’existence humaine. Toutefois ces antipathies n’ont pas chez lui le caractère de passions, et ne font pas de lui un prédicateur. Il les exprime telles que les ressent en général l’homme de nos jours, assez convaincu de la vérité qu’il possède pour ne pas croire nécessaire de faire du prosélytisme, assez sûr du cours des choses pour croire inutile de le précipiter. À sa bonne humeur inaltérable, à son sourire indulgent, à ses hostilités sans colère, à ses sarcasmes sans venin, on devinerait au besoin, si d’ailleurs on ne le savait pas, que c’est là une heureuse nature, développée en un milieu excellent, un homme qui a vu le monde autrement que par la fenêtre, pratiqué ses contemporains sans trop avoir à démêler avec eux, et qui, de tous les hochets dont se joue notre pauvre humanité, n’en veut admettre que deux comme dignes d’elle : l’amour du beau et l’amour du bien, — à supposer encore que ce ne soit pas là une seule et même passion.

Ainsi disposé, M. Wilkie Collins a choisi le héros de son second ouvrage dans le sein de cette aristocratie anglaise si peu accessible aux écrivains de profession, mais que les nombreuses relations de son père ont dû l’aider à bien connaître. Basil est le fils d’un noble d’ancienne roche, très fier de son origine, et chez qui va de pair, avec la préoccupation des devoirs qu’elle impose, le sentiment des privilèges exceptionnels qu’elle donne le droit de revendiquer. Chez lui, l’honneur est poussé jusqu’au fanatisme, la délicatesse atteint aux dernières limites du scrupule. Portées à ce degré, ces qualités deviennent une partie du monopole de race qu’il entend maintenir. La race en effet, et non le rang, compte aux yeux de cet aristocrate modèle. Il ne conteste pas à sa reine le droit de faire des pairs, mais il ne reconnaît point pour siens les parvenus que les hasards de la fortune politique ont pu pousser à ce rang élevé. Qu’un de ces parvenus vienne dîner à sa table, et que ce jour-là même s’y trouve convié un pauvre professeur de langue étrangère, exilé de son pays, où depuis des siècles le nom qu’il porte est inscrit dans les fastes historiques, la