Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/856

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et le talent ne sont pas morts de la peste après nous l’avoir donnée ! Quel péril et quel funeste oubli des leçons les plus réprimantes de l’expérience, si l’on désarmait un moment dans cette guerre déclarée à toutes les pensées, à toutes les espérances, à tous les enthousiasmes de ces quarante dernières années ! Un jour, un seul jour d’indulgence pour les prétentions de l’esprit, et la société reprend la voie des abîmes, et la Providence abandonne ce monde, et les honnêtes gens n’ont plus qu’à vendre leurs rentes !

Voici pourtant un jeune homme à qui nos fautes n’ont point profité, qui ne demande qu’à goûter les belles choses, qui les cherche avec passion, qui ne serait pas éloigné d’en trouver autour de lui, quoiqu’il ait d’abord appris de l’antiquité à s’y connaître, qui ne montre qu’impatience de penser, de sentir et de le dire, et de s’engager de paroles au service de ses convictions, même de ses impressions ; enfin qui, pour l’amour de l’art, s’exposerait à scandaliser les sages et à inquiéter les prudens. Il trouve que de son temps la science du passé est devenue intelligente ; à l’entendre, l’histoire des lettres a été enfin comprise, le sentiment des beautés classiques s’est développé, l’appréciation de tous les âges de la pensée et de tous les genres du talent est devenue plus juste et plus délicate, la critique, la vraie critique, a été pour ainsi dire mise au jour, et il s’élance, avec la vivacité de l’inexpérience, à la poursuite des secrets du génie, n’aspirant qu’à rencontrer quelque part le noble plaisir d’admirer. L’admiration, l’amour du beau, la confiance dans le vrai, voilà des sentimens bien dangereux, et les familles où ils ont ainsi pénétré sont bien à plaindre.

Ce n’est pas moi pourtant qui cherchera querelle à M. Guillaume Guizot de se porter avec ardeur vers ce qu’il aime, et d’aimer les lettres, sans exclusion d’aucune époque, d’aucun genre, d’aucune école. Je ne lui reprocherai pas la souplesse de son esprit ni les indulgences de son jugement ; celui qui porte dans l’appréciation des œuvres de l’art une inflexibilité exclusive prend la pédanterie pour le goût, et l’intolérance d’un certain dégoût classique n’est que l’impuissance de reconnaître la beauté et la vérité, sous quelque forme qu’elles se montrent. C’est l’habitude et la convention érigées en lois de la nature et en règles éternelles. Pressez un peu un de ces juges d’une si dédaigneuse orthodoxie, et vous découvrirez bientôt que l’antiquité même, qu’ils vantent, les trouve insensibles, et qu’ils la louent sur parole. Les lettres anciennes, et particulièrement les lettres grecques, offrent dans leur inépuisable richesse une telle variété, une telle liberté de ton, de genre, de manière et de langage ; les lois prétendues de la critique vulgaire s’appliquent si mal à tout