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à servir la civilisation et à faire des choses vraiment grandes, lorsqu’elle résistait à l’invasion tartare et la refoulait en Asie ; lorsqu’elle colonisait et exploitait la Sibérie, ouvrant une nouvelle route vers la Chine ; lorsqu’elle resserrait et amortissait la puissance turque, encore violente et menaçante pour la chrétienté ; lorsque son activité s’appliquait à peupler et fertiliser de vastes contrées incultes, à fonder des villes et à créer des ports sur des mers inconnues ; lorsqu’enfin elle agissait comme l’avant-garde de l’Europe civilisée contre la barbarie asiatique. De telles œuvres étaient conformes au génie de la nation aussi bien qu’aux intérêts du monde. On pouvait alors ne pas lui demander compte de son degré de culture intellectuelle, de la lenteur de ses progrès dans les arts et dans les sciences. La Russie obéissait à la loi naturelle de son développement ; elle pratiquait, on peut le dire, sa vraie politique. Aucun rapport n’existe entre cette application féconde et légitime des forces dont elle dispose et le système de lutte contre l’Occident qui a si tristement prévalu. Ce système a aussi son histoire ; on l’a vu retarder le progrès social dans les provinces de la Baltique, conquises sur l’ordre teutonique et sur la Suède ; on l’a vu peser sur la Pologne et opprimer récemment encore, à titre de protectorat, les provinces danubiennes. Si la Russie persistait dans ce système, elle n’aurait plus qu’à chercher dans la force brutale son principe unique, son unique moyen d’influence : elle se ferait l’avant-garde de l’Asie barbare contre l’Europe civilisée ; elle prendrait le rôle de ses anciens maîtres les Tartares. Telle est la conséquence qu’amènerait l’application persistante du système autocratique dans les rapports de la Russie avec l’Europe ; mais, pour que cette conséquence fût réalisable, il importerait que la Russie trouvât une garantie de succès dans une supériorité réelle sur les états devenus ses adversaires. Cette supériorité existe-t-elle ? Ceci nous amène à rechercher quelles sont les conditions intérieures de la Russie, comparée au reste de l’Europe, et ce que le système des tsars a fait pour améliorer ou modifier ces conditions.

La Russie diffère notablement du reste de l’Europe : — par son climat, — par la configuration de son territoire, — par la race qui l’occupe, — par sa religion dominante et l’état de son clergé, — par ses institutions sociales et politiques. Il importe de bien constater ces différences et de signaler les conséquences qui en résultent.

Qu’est-ce d’abord que le climat spécial de la Russie ? On peut le définir en peu de mots : sept mois d’hiver, pendant lesquels il est rare que le mercure ne gèle pas ; — en juin des jours de dix-neuf heures, en décembre des jours de cinq heures. On ne trouve pas dans ce pays de charbon fossile ; il faut donc du bois et beaucoup de bois pour chauffer la population. Or, à mesure que celle-ci s’accroît, la consommation du bois augmente, et en même temps ce progrès dans la