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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/899

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de mieux que de lui opposer une autre puissance étrangère. Ils demandaient à Charles IX de Suède un de ses fils, pour le couronner au lieu du fils de Sigismond. L’affaire se traitait à Novgorod, asservie et déchue depuis les terribles coups que lui avait portés Ivan IV. Les Suédois assiégeaient Novgorod, commandés par un Français, Pont de La Gardie ; mais pendant les négociations celui-ci trouva plus simple de surprendre la ville, gouvernée par deux boyards, et de s’en emparer. Le chef militaire, le boyard Boutourline, voyant l’ennemi dans la place, se garda bien de combattre : il courut avec quelques compagnons d’aventure au quartier marchand, pilla les boutiques, et s’enfuit. L’autre boyard s’empressa de capituler.

La Russie semblait, en présence de l’invasion polonaise, frappée de cet abattement étrange qui l’avait livrée deux siècles auparavant à la domination tartare. Cette fois encore cependant, un glorieux réveil succéda à une période d’affaissement sans exemple. Au moment même où la Russie semblait tombée le plus bas, elle touchait à l’époque la plus belle de son histoire. Un petit bourgeois de Nijni-Novgorod (sur le Volga), Cosme Minine, boucher de profession, prit l’initiative de la résistance à l’ennemi vainqueur. Un vaste soulèvement s’organisa. La Russie avait en quelque sorte trouvé sa Jeanne d’Arc. Cosme Minine avait déjà porté les armes pour la défense du pays, et frémissait de le voir à deux doigts de sa perte. Il assemble ses parens, ses amis : aucun sacrifice ne devait coûter aux Russes, disait-il, pour payer des troupes et mettre à leur tête un habile général. Son appel patriotique est favorablement accueilli par ses concitoyens. Minine se rend aussitôt près du prince Pojarski, chef patriote qui, à peine remis de ses blessures reçues au massacre de Moscou, accepta la proposition du boucher de Nijni-Novgorod. Il lève une armée qui se grossit rapidement à mesure que Minine procure les fonds nécessaires pour la bien payer. Les Polonais et leurs partisans, prévoyant la portée de cette insurrection, veulent forcer le patriarche Hermogène d’écrire à Pojarski pour le détourner de son entreprise. Le pontife s’y refuse avec indignation, s’écriant : Qui donc sauvera la Russie ? C’est alors qu’on le fit mourir. Mais déjà Pojarski, accueilli partout comme un sauveur, marche de victoire en victoire. Les nobles accourent sous ses drapeaux, les marchands lui apportent de riches contributions. Le boucher Minine combat aux côtés du prince. Les Polonais sont battus devant Moscou ; les boyards traîtres à leur patrie, qui se sont renfermés dans cette capitale, sont forcés de se rendre, et bientôt l’armée polonaise elle-même, en pleine déroute, évacue la Russie.

C’est là certes un beau mouvement, mais un acte plus remarquable encore peut-être vint attester combien avait retrouvé de puissance en ce moment parmi les Russes le sentiment de l’indépendance nationale.