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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/952

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bruit et de l’éclat de Paris, loin de toutes les émotions qui lui étaient si chères, loin de toute intrigue de politique et d’amour ! Celui était un divertissement fort médiocre de tourner la tête au vieil archevêque de Tours[1], et pour se soutenir elle avait grand besoin des visites du jeune et aimable La Rochefoucauld[2], qui habitait dans son voisinage, et des lettres de la reine Anne. Elle resta en Touraine pendant quatre longues années, depuis 1633 jusqu’au milieu de 1637, employant son loisir et son activité, à nouer une correspondance mystérieuse entre la reine, Charles IV, la reine d’Angleterre et le roi d’Espagne.


III

Quel était le véritable objet de cette correspondance ? Jusqu’ici, tout ce que nous en savions de bien certain, c’est que l’on en tira les plus graves accusations contre Anne d’Autriche et Mme de Chevreuse. La reine se servait pour ce commerce secret d’un de ses valets de chambre nommé La Porte. Quelquefois aussi elle se retirait an Val-de-Grâce, en apparence pour y faire ses dévotions, et elle y écrivait des lettres que la supérieure, Louise de Milley, la mère de Saint-Etienne, se chargeait de faire arriver à leur adresse. La reine et ses amis croyaient agir dans une ombre impénétrable ; mais la police du soupçonneux cardinal était aux aguets. Un billet d’Anne d’Autriche à Mme de Chevreuse, confié par La Porte à un homme dont il se croyait sûr et qui le trahit, fut intercepté, La Porte arrêté, jeté dans un cachot de la Bastille, interrogé tour à tour par les suppôts les plus habiles du cardinal, Laffernas et La Poterie, par le chancelier Pierre Séguier et par Richelieu lui-même. En même temps le chancelier, accompagné de l’archevêque de Paris, se faisait ouvrir les portes du Val-de-Grâce, pénétrait dans la cellule de la reine, saisissait tous ses papiers et interrogeait la supérieure, la mère de Saint-Étienne, après lui avoir fait commander par l’archevêque de dire la vérité au nom de l’obéissance qu’il lui devait et sous peine d’excommunication. La reine aussi eut beaucoup à souffrir et courut les plus grands dangers. Écoutons La Rochefoucauld, qui, ce semble, devait être parfaitement informé, puisqu’il était alors, avec Mme d’Hautefort et Mme de Chevreuse, le confident le plus intime d’Anne d’Autriche : « On accusoit la reine d’avoir des intelligences avec le marquis de

  1. La Rochefoucauld, Mémoires, p. 355.
  2. La Rochefoucauld, ibid., p. 355 : « Mme de Chevreuse étoit alors reléguée à Tours. La reine lui avoit donné bonne opinion de moi ; elle souhaita de me voir, et nous fûmes bientôt dans une très grande liaison d’amitié… En allant et en revenant, j’étais souvent chargé par l’une ou par l’autre de commissions périlleuses. »