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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/965

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réduite à Londres à faire des dettes toujours croissantes, et auxquelles elle ne savait comment satisfaire. Pendant ce temps-là, M. de Chevreuse, qui avait mis sa maison dans le plus triste état, et pour la rétablir n’espérait que dans la raison et le crédit de sa femme, ne cessait d’intercéder auprès du roi et du premier ministre pour qu’on la laissât revenir en France. Le cardinal en était resté avec elle à l’offre de pardon et d’abolition, comme on disait alors, que le président Vignier avait été lui porter jusqu’à la frontière d’Espagne. Outre les raisons générales de souhaiter son retour, que lui-même a développées, Richelieu en avait une toute particulière en ce moment ; il traitait avec le duc de Lorraine, dont les talens militaires et la peu nombreuse, mais excellente armée l’inquiétaient ; plus que jamais il s’efforçait de l’attirer à un accommodement qui lui permît de rassembler toutes les forces de la France contre l’Autriche et contre l’Espagne. Il avait donc le plus grand intérêt à ménager Mme de Chevreuse toute-puissante sur l’esprit du duc, et qui déjà, à ce qu’il croyait, avait en 1637 empêché l’accommodement désiré, et pouvait l’empêcher encore. De son côté, Mme de Chevreuse était lasse de l’exil ; elle soupirait après son château de Dampierre, après ses enfans, après sa fille, l’aimable Charlotte, qui grandissait loin de sa mère. Elle frémissait à la pensée de la douloureuse alternative qui chaque jour la pressait davantage, ou d’être forcée de recourir à l’Angleterre et à l’Espagne, ou d’engager ses pierreries qu’elle avait fait redemander à La Rochefoucauld[1]. Elle tenait à cette riche parure, qui venait, dit-on, de la maréchale d’Ancre et de Florence, brillant souvenir d’un temps plus heureux ; car Mme de Chevreuse était femme, elle en avait les faiblesses comme les grâces, et quand la passion et l’honneur ne la jetaient pas au milieu des périls, elle se complaisait dans toutes les élégances de la vie[2]. C’est ce mélange de mollesse féminine et de virile énergie qui est le trait particulier de son caractère, et qui la rendait propre à toutes les situations, aux douceurs et à l’abandon de l’amour, comme à l’agitation des intrigues et des aventures. C’est avec ces divers sentimens qu’elle se décida à reprendre avec Richelieu une négociation qui n’avait jamais été entièrement rompue, et dont le succès paraissait assez facile, puisque des deux parts on le souhaitait presque également.

  1. Voyez, sur cette particularité, la Jeunesse de madame de Longueville, 3e édit., chap. IV, p. 280, et Appendice, p. 467.
  2. Mme de Chevreuse, comme son petit-fils, aimait les arts et les encourageait. Elle a été la protectrice de l’excellent graveur Pierre Daret, qui lui a dédié sa collection des Illustres Français et estrangers de l’un et de l’autre sexe, in-4o, 1652. Cette dédicace, trop peu connue, nous apprend des choses qui ne se trouvent dans aucune des biographies de cet artiste, pas même dans l’Abécédaire de Mariette, et qui font le plus grand honneur à Mme de Chevreuse.