Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 12.djvu/976

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

V

En 1641, nous trouvons Mme de Chevreuse à Bruxelles servant de lien entre l’Angleterre, l’Espagne et la Lorraine. On ne sait pas communément, mais nous pouvons démontrer qu’elle prit une assez grande part à l’affaire du comte de Soissons, c’est-à-dire à la conspiration la plus formidable qui ait été tramée contre Richelieu.

Le comte de Soissons, prince du sang, était bien plus considérable encore que ne l’avait été Henri de Montmorency : il avait sa bravoure et ses talens militaires ; son plan était mieux conçu, et l’occasion tout autrement favorable. Le premier ministre, en tendant tous les ressorts du gouvernement, en perpétuant la guerre, en aggravant les charges publiques, en opprimant les corps, en frappant aussi les particuliers, avait soulevé bien des haines, et il ne gouvernait guère plus que par la terreur. Son génie imposait, la grandeur de ses desseins parlait à quelques esprits d’élite ; mais cette dureté continue et tant de sacrifices sans cesse renaissans fatiguaient le plus grand nombre, à commencer par le roi. Le favori du jour, le grand-écuyer Cinq-Mars, minait et noircissait le plus qu’il pouvait le cardinal dans l’esprit de Louis XIII. Il connaissait la conspiration du comte de Soissons, et sans en faire partie il la favorisait. On pouvait compter sur lui pour le lendemain. La reine Anne, toujours en disgrâce malgré les deux fils qu’elle venait de donner à la France, faisait au moins des vœux pour la fin d’un pouvoir qui l’opprimait. Monsieur avait engagé sa parole, il est vrai, bien peu sûre ; mais le duc de Bouillon, homme de guerre et politique éminent, était ouvertement déclaré, et sa place forte de Sedan, située sur les frontières de la France et de la Belgique, était un asile d’où on pouvait braver longtemps toutes les forces du cardinal. On s’était ménagé de vastes intelligences dans toutes les parties du royaume, dans le clergé, dans le parlement. On conspirait jusque dans la Bastille, où le maréchal de Vitry et le comte de Cramail, tout prisonniers qu’ils étaient, avaient préparé un coup de main avec un secret admirablement gardé. L’abbé de Retz, qui avait alors vingt-cinq ans, préludait à sa carrière aventureuse par cet essai de guerre civile[1]. Le duc de Guise, échappé de l’archevêché de Reims et réfugié dans les Pays-Bas[2], devait venir à Sedan

  1. Voyez dans le premier volume des Mémoires, p. 28-41, tout le détail de cette affaire.
  2. On lit dans la Gazette de Renaudot, pour l’année 1641, n° 61, p. 314 : « Le 20 de ce mois de mai, le duc de Guise arriva de Sedan à Bruxelles, où il fut souper chez la duchesse de Chevreuse et coucher chez don Antonio Sarmiento. » Et dans le n° 64, p. 327, sous la date du 28 mai : « Le secrétaire du duc de Bouillon est parti d’ici ( Bruxelles] pour Sedan, où le duc de Guise est aussi retourné. »