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le traité conclu avec l’Espagne, par l’intermédiaire de Fontrailles, au nom de Monsieur, de Cinq-Mars et du duc de Bouillon. Dès-lors le cardinal se tient assuré de la victoire. Il connaissait Louis XIII ; il savait qu’il avait pu, dans quelque accès de son humeur mobile et bizarre, se plaindre de son ministre auprès de son favori, souhaiter même d’en être délivré, et prêter l’oreille à d’étranges propos[1] ; mais il savait aussi à quel point il était roi et Français, et dévoué à leur commun système. Il se hâta donc d’envoyer Chavigny à Narbonne avec les preuves authentiques du traité d’Espagne. À la vue de ces preuves, Louis se trouble ; il a peine à en croire ses yeux, il tombe dans une sombre mélancolie, et il n’en sort qu’avec des éclats d’indignation contre celui qui a pu abuser ainsi de sa confiance et conspirer avec l’étranger. On n’a pas besoin de l’enflammer ; il est le premier à demander une punition exemplaire ; pas un jour, pas une heure il ne s’attendrit sur la jeunesse d’un coupable qui lui a été si cher ; il ne pense qu’à son crime, et signe sans hésiter l’arrêt de sa mort[2]. Sur un bruit parti d’un domestique de Fontrailles, et que les mémoires de Fontrailles confirment pleinement[3], ses soupçons se portent sur la reine[4], et on ne parvint jamais à lui arracher de l’esprit qu’ici, comme dans l’affaire de Chalais, Anne d’Autriche ne s’entendît avec Monsieur. Qu’eût-il dit s’il avait lu la relation de Fontrailles, les mémoires du duc de Bouillon, le billet de Turenne et la déclaration de La Rochefoucauld ? A nos yeux, l’accord de ces témoignages est décisif. Les paroles du duc de Bouillon et de La Rochefoucauld sont telles qu’on n’en peut révoquer en doute l’autorité qu’en imputant à l’un et à l’autre non pas une erreur, mais un mensonge, et un mensonge à la fois gratuit et odieux. La reine fit tout au monde pour conjurer ce nouvel orage et persuader son innocence au roi et à Richelieu. Nous avons vu qu’en 1657 les protestations les plus solennelles, les sermens les plus saints ne lui avaient pas coûté

  1. Voyez les Mémoires de Montglat, collect. Petitot, t.1er, p. 375.
  2. Les détails précis de cette importante affaire ne sont nulle part, pas même dans le père Giilfet. Voyez les pièces authentiques conservées aux Archives des affaires étrangères. FRANCE, t. CII.
  3. Relation de Fontrailles, collection Petitot, t. LIV, p. 438 : « Soudain que je fus seul avec M. De Thou (à Carcassone après le voyage d’Espagne), il me dit le voyage que je venois de faire, ce qui me surprit fort, car je croyois qu’il lui eût été celé. Quand je lui demandai comme quoi il l’avoit appris, il me déclara en confiance fort franchement qu’il le savoit de la reine, et qu’elle le tenait de Monsieur. À la vérité, je ne la croyois pas si bien instruite, quoique je n’ignorasse pas que sa majesté eut fort souhaité qu’il se pût former une cabale dans la cour, et qu’elle y avoit contribué de tout son pouvoir, pour ce qu’elle n’en pouvoit que profiter. »
  4. Archives des affaires étrangères, FRANCE, t. CII. Chavigny à Richelieu, 24 octobre : « Le roi fit hier assez mauvaise chère à la reine… Il est toujours fort animé contre elle, et en parle à tous momens. »