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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/1028

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montagnards. Malheur aux caravanes qu’ils surprennent ! malheur aux tribus qui résident à portée de leurs incursions! Toute population qui habite dans des maisons en bois auxquelles le feu prend aisément, ou bien qui n’a pas de grenier pour mettre ses blés à l’abri, est traitée en ennemie par les aventureux habitans du Djaour-Daghda. Aussi les routes qui traversent leur pays sont-elles les moins fréquentées du monde. Un bey gouverne, il est vrai, le Djaour-Daghda; ce bey dépend du pacha d’Adana, délégué du pouvoir impérial. Il faut bien le dire cependant, la centralisation n’existe ici qu’en apparence. Les ordres partis de Constantinople ont beau être proclamés dans le Djaour-Daghda, la conscription et les impôts ont beau être décrétés : pas un montagnard ne revêt l’uniforme ou ne verse un para au trésor. Ce n’est de leur part ni manque de courage ni misère, c’est amour d’une vie indépendante. Le monde oriental compte beaucoup de populations pareilles. De la Syrie à l’Egypte vous rencontrerez les Druses, les Ansariens, les Mettuali, etc. Des armées aussi nombreuses que celles de Sennachérib pourraient seules tenir tête à tant de peuples à la fois. Pour tirer quelque chose de ces hommes indomptés, c’est donc aux voies pacifiques qu’on recourt de préférence. Quelquefois cependant des crises éclatent, et un pacha prend le parti d’envoyer quelques compagnies d’infanterie contre des tribus rebelles. Celles-ci font alors de deux choses l’une : ou elles se retirent en masse dans des abris sûrs, livrant les troupes aux hasards d’une marche incertaine à travers un pays inculte, ou bien, dédaignant la tactique de Fabius, elles prennent l’offensive; mais en ce cas elles ne manquent jamais de s’assurer l’avantage du nombre. Vingt-cinq mille montagnards marchent par exemple contre un millier de soldats. Cette démonstration suffit d’ordinaire pour couper court aux hostilités. Les troupes retournent à leurs casernes, les montagnards à leurs affaires, et le bon accord entre gouvernans et gouvernés est rétabli jusqu’à la prochaine levée ou jusqu’à la prochaine échéance des contributions.

On connaît maintenant les populations dont, en quittant Adana, j’allais traverser le territoire. En attendant le jour du départ, mon temps se passait, je l’ai dit, fort agréablement. Je me sentais heureuse de vivre enfin sur cette vieille terre des palmiers et des cèdres, au milieu de populations dont le type et les mœurs arabes évoquaient devant moi les splendides tableaux de la Bible. C’est sous le ciel d’Orient qu’il faut lire les pages de l’Ancien Testament. L’histoire du vieux Job, par exemple, se renouvelle ici chaque jour. Un habitant de la campagne n’est riche qu’autant qu’il possède des troupeaux. L’Oriental n’a point de capitaux déposés chez un banquier ou un notaire. Le riche n’est guère mieux pourvu en argent que le pauvre,