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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/1031

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martyre. Quant aux fellahs, on les accuse tour à tour d’adorer le feu, un animal fabuleux, une idole en bois, ou de ne rien adorer du tout.

Après la visite au village en osier vint la visite au pacha d’Adana, dont je tenais à m’assurer la protection au moment de pénétrer dans le Djaour-Daghda, En entrant dans la cour au fond de laquelle s’élève la tour carrée et en bois qui sert de résidence à ce haut fonctionnaire, je sentis encore une fois que j’avais passé de l’Orient turc dans l’Orient arabe. L’Orient turc ne ressemble guère, hélas! à l’Europe; mais il s’en rapproche beaucoup plus que l’Orient arabe. Celui-ci porte un cachet d’originalité dans ses richesses aussi bien que dans ses misères. Bien des choses y sont déplaisantes, absurdes, incommodes, repoussantes; nous y sommes tour à tour mal à l’aise, mécontens, inquiets, indignés; mais nous le sommes autrement que partout ailleurs, et à coup sûr, aussi longtemps que cette manière d’être est nouvelle, cette nouveauté nous dédommage de bien des inconvéniens.

Rien de moins beau, de moins régulier, de moins propre que l’extérieur du palais du pacha d’Adana. La grande cour dont je viens de parler est fermée d’un côté par la tour carrée de son excellence, et des trois autres côtés par des bâtimens n’ayant qu’un étage, dont les formes lourdes et sans élégance répondent parfaitement au but auquel ils sont destinés. Ce sont les écuries, les prisons, les cuisines. Un ou deux palmiers à l’écorce en lambeaux projettent quelque ombre dans un angle de la cour. Cette enceinte si mal décorée était peuplée, au moment où j’y pénétrais, de tant d’êtres aux formes, aux traits, au costume, au langage, aux manières bizarres, que j’y aurais volontiers passé la journée en contemplation. Ici des soldats arnautes (albanais), avec leur courte et ample jupe blanche, leurs guêtres rouges brodées en paillettes, leur casaque à manches pendantes et à corsage tout chamarré d’or et d’argent, jouaient aux dés sur les dalles de la cour, et semblaient tous également déterminés à ne pas perdre la partie. Un peu plus loin, un Bédouin du désert, debout auprès de son cheval, le bras passé dans sa bride, le corps enveloppé d’un immense manteau blanc, la tête couverte d’un mouchoir en soie jaune et rouge qui retombait comme un voile sur son brun et fier visage, sa longue pique de douze pieds à la main, regardait avec indifférence et dédain les joueurs avides et impatiens. Le long des murs de droite, de magnifiques chevaux arabes, attachés par des chaînes à des anneaux de fer enfoncés dans la muraille, recevaient en hennissant et en piaffant les soins de palefreniers égyptiens à la blouse bleue, au teint presque noir, petits et maigres, mais robustes et intelligens. Enfin, un peu en avant du mur de gauche, dans un petit espace réservé entre le mur même et une palissade en bois, une dizaine