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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/115

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dîner à tout le collège. Tant de toasts furent portés à cette occasion, que la moitié des convives roulèrent sous la table au milieu des bouteilles vides et des verres cassés, tandis que les autres parcoururent les rues de Boston, en chantant, brisant les réverbères et chassant les watchmen. Ces polissonneries occasionnèrent une demi-douzaine d’incarcérations, et deux ou trois élèves furent mêmes expulsés du collège.

Le jeune Marsden quitta bientôt Boston, et se rendit, à New-York, où je le rencontrai par hasard dans Broadway quelques jours après mon installation dans cette ville. Il m’invita à visiter ses appartemens, et lorsque je répondis à cette invitation, je trouvai Edouard Marsden couché sur une ottomane, au fond d’une pièce ornée dans le style oriental, respirant la fumée d’un hookah, vêtu d’une robe persane, coiffé d’un turban, chaussé de pantoufles merveilleuses. L’appartement était parfumé, et un magnifique candélabre éclairait un des plus somptueux mobiliers qui se puissent imaginer.

— Vous voyez que je vais mon train, docteur, me dit-il dès mon arrivée. Vous ne connaissez rien de comparable, n’est-ce pas ? » Profitez de la vie, dit l’épicurien, et ajoutez-y les plaisirs de l’heure présente. » C’est ma devise : je suis un philosophe épicurien.

Je lui demandai s’il pratiquait la médecine, car je connaissais les noms de la plupart de mes confrères de la ville et je n’avais pas vu le sien figurer sur la liste.

— Non, me répondit-il. Au diable la médecine, docteur ! Excusez-moi, je n’applique pas l’expression à ceux qui la pratiquent, mais « .jetez la médecine aux chiens, je n’en veux pas, » dit Shakspeare ; Sliakspeare était un homme sage, et je ne puis mieux faire que de suivre ses conseils, n’est-il pas vrai, docteur ?

Je souris et me hasardai à lui demander combien de temps ses finances lui permettraient de mener cette vie extravagante.

— Oh ! répliqua-t-il avec insouciance, je ne sais pas. Pour vous dire la vérité, j’ignore quelle est la somme qui est entre les mains de mon banquier. Je lui demande ce dont j’ai besoin. Lorsque tout sera fini, je suppose qu’il sera assez habile pour me répondre : « Plus de fonds ! » Lorsque ce jour viendra, je vendrai mes meubles, mes chevaux et ma voiture, et je me mettrai aux affaires. Peut-être d’ailleurs mourrai-je auparavant. En outre je vais me marier à une héritière, une ravissante créature, vieille à la vérité, mais encore assez belle, — une femme de quarante ans et veuve par-dessus le marché ; mais qu’est-ce que cela me fait ? Si elle porte de fausses boucles de cheveux (et je l’en soupçonne), son argent est bon et n’est pas de la fausse monnaie. Elle a vingt mille dollars de fortune, et comme je suppose que mes trente mille dollars toucheront bientôt