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encore aujourd’hui est ressemblante. «Le tullianum (la partie inférieure de la prison) est un enfoncement qui a une profondeur de douze pieds; il est entouré de murs; au-dessus est une chambre voûtée; c’est un lieu désolé, ténébreux, infect, terrible. »

Quand le regard descend au fond du cachot inférieur par le trou qui servait à y plonger les victimes, on est pénétré de la férocité du génie romain. On se rappelle Jugurtha, qu’on précipita vivant dans ce tombeau, et qu’on y laissa mourir de faim, parce qu’il avait été vaincu. Le Numide, jeté tout nu dans ce gouffre glacial, s’écria seulement : « Romains, que vos étuves sont froides! » On lui avait arraché un lambeau d’oreille avec l’anneau d’or attaché à ce lambeau. Ici les complices de Catilina furent étranglés par l’ordre de Cicéron, qui en cette circonstance dépassa peut-être ses pouvoirs, mais sauva très certainement son pays; ici Séjan périt, et ses filles furent égorgées après que le bourreau les eut déshonorées, par respect pour la loi qui ne permettait pas de mettre à mort une vierge. Enfin, on le sait trop, lorsque le triomphateur montait au Capitole, il s’arrêtait à quelques pas d’ici, à un coude que fait la voie Triomphale; alors, — c’était le complément de la victoire, — on mettait à mort dans le cachot les rois vaincus. Ce lieu semble bien fait pour de telles horreurs.

Heureusement le christianisme y a attaché de plus consolans souvenirs, car, chose remarquable, le plus ancien monument de l’histoire romaine est aussi le plus ancien monument de la tradition chrétienne. Suivant cette tradition, saint Pierre, enfermé dans la prison Mamertine, fit jaillir une eau limpide pour baptiser ses geôliers convertis. Le nom de l’un d’eux était Processus (progrès), symbole expressif du changement qui s’accomplissait. L’idée de charité se faisait jour dans ces ténèbres, où elle n’avait jamais pénétré. Aujourd’hui, au-dessus de la prison Mamertine est une petite église dédiée à saint Joseph, patron de l’humble corporation des charpentiers, San Giuseppe dei Falegnani. Le peuple a une grande dévotion à cette église. Je l’ai presque toujours vue remplie. La foule qui s’y agenouille sans cesse semble prier pour les âmes de tous ceux qui sont morts ici de mort violente, et le spectacle de son recueillement adoucit un peu l’horreur que fait éprouver ce lieu, l’un des plus tragiques de Rome.

On attribue la création de la prison Mamertine au roi sabin Ancus Martius; mais cette attribution que rien ne justifie paraît reposer sur une confusion de noms[1]. Une chose est certaine, les murailles de

  1. On a rapproché le mot Mamertinus de Martius, qui a le même sens, Mamers étant le nom de Mars chez les Sabins. Ce nom de prison Mamertine n’a jamais été employé dans l’antiquité et ne se rencontre qu’au moyen âge.