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femmes dont la figure est assez fraîche, quoique charbonnée. Le moment était venu de refaire notre toilette. On ne revient pas de ces excursions souterraines sans rapporter sur soi la couleur des lieux visités : nos mains étaient noires, nos visages étaient noirs. Nous quittâmes, mon guide et moi, nos habits de charbonnier; mais, ce qu’on dépouille plus difficilement, c’est l’impression laissée dans l’esprit par la grandeur taciturne de ces travaux, qui donnent à l’homme le sentiment de ses forces et de sa valeur morale.

Les houillères ne seraient rien encore sans un système de relations convenablement organisé : elles touchent presque toutes à des chemins de fer, à des rivières, à des canaux, et elles se mettent en rapport avec ces grandes artères du mouvement à distance par de petites voies ferrées qui leur appartiennent. Quand on examine sur les lieux le vaste matériel qu’exige l’exploitation d’une houillère, le personnel administratif qui s’y rattache, le nombre d’ouvriers employés dans ces travaux, on comprend tout de suite qu’il n’y a guère de fortune personnelle, si immense qu’elle soit, capable de faire face par elle-même aux avances de capitaux sans lesquelles ces grands foyers de production demeureraient stériles. En Belgique, les charbonnages sont très souvent possédés et exploités par des sociétés anonymes. Un conseil d’administration, composé de cinq membres et d’un directeur-gérant, préside au mouvement général des recettes et des dépenses, à la fixation du prix des travaux, à l’installation des machines : c’est le cerveau de l’exploitation houillère. L’insuffisance des ressources particulières se fait surtout sentir au début de l’entreprise : les travaux préparatoires ont plus d’une fois déjoué et dépassé tous les calculs des ingénieurs; des fortunes considérables s’y sont englouties. Dans la Grande-Bretagne, la houillère de Monkwearmouth, une des plus riches du monde, a manqué de ruiner plusieurs fois ses actionnaires : les difficultés succédaient aux difficultés; les terrains de revêtement, à travers lesquels passaient les puits, s’enfonçaient, s’enfonçaient toujours. On était descendu à 603 pieds dans ce qu’on croyait être enfin le terrain houiller, et aucune veine de houille exploitable ne se montrait encore : il était évident que les mineurs se trouvaient dans un banc inconnu. Et puis les eaux abondaient sous les eaux. Il fallut recourir à de nouvelles pompes et à de nouveaux appels de fonds. Des capitalistes moins résolus que les capitalistes anglais se seraient découragés : déjà même les hommes de l’art déclaraient cette tentative absurde et désespérée. MM. Pemberton, les entrepreneurs de la mine, ne reculèrent ni devant les sacrifices d’argent, ni devant les railleries de la critique; ils creusaient toujours, et à la profondeur de 1578 pieds au-dessous de la surface de la terre, ils rencontrèrent une veine de houille d’une