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à l’accomplissement d’une telle opération; il faut déduire enfin, de quelques circonstances imparfaitement connues du public, les motifs qu’on peut avoir de regarder cet accomplissement comme prochain.


I.

Le projet d’ouvrir à la grande navigation l’étroite langue de terre qui sépare la Méditerranée de la Mer-Rouge a le mérite de n’être pas nouveau. Le lit du Nil suffisait aux navires des anciens, et, suivant Hérodote, le canal de ce fleuve à la Mer-Rouge fut entrepris par Nécos, fils de Psammétique, et achevé par Darius, fils d’Hystaspe, cinq cent dix ans au moins avant l’ère chrétienne. « Le canal est, dit-il, alimenté par le Nil; il en est dérivé un peu au-dessus de Bubaste, et aboutit à la mer Erythrée, près de Patymos, ville d’Arabie. Il a quatre journées de navigation de longueur, et assez de largeur pour que deux trirèmes y passent de front. » Le canal des Pharaons avait disparu sous les sables pendant les événemens au milieu desquels s’éteignit leur race, et celui que virent les Romains était l’ouvrage de Ptolémée Philadelphe (260 ans avant Jésus-Christ). L’empereur Adrien, qui régnait en l’an 120 de l’ère chrétienne, le restaura; enfin le calife Omar le fit recreuser l’an 625 par Amrou, sultan d’Egypte, et la navigation y fut en activité jusqu’en 775, époque où elle fut interdite par le calife Abou-Giafar-Almansour.

Que l’art moderne soit en état de surpasser ce que l’art antique et l’art arabe avaient accompli, nul n’en doutera, et si, trois fois ouverte, la navigation directe de la Méditerranée à la Mer-Rouge a été trois fois abandonnée, notre âge n’a pas la moindre conséquence décourageante à en tirer. Les révolutions qui ont bouleversé l’Egypte n’ont fait qu’envelopper dans une ruine commune celui de tous ses monumens qui était le moins capable de résister à quelques années d’abandon, et la civilisation, dont il sera sur ces bords le véhicule le plus puissant, saura lui servir de gardienne. Des explorations attentives du terrain ont dès longtemps démontré que le travail de l’homme n’y rencontrera point d’obstacles infranchissables.

Le golfe Arabique semble être une immense crevasse ouverte dans une des plus violentes convulsions qu’ait éprouvées notre globe, lorsque les formes actuelles des continens se sont arrêtées. Il s’avance en ligne droite du sud-est au nord-ouest, sépare l’Asie de l’Afrique du 12e au 30e degré de latitude nord, et sa longueur de Bab-el-Mandeb à Suez est de 2,300 kilomètres. L’isthme interposé entre le golfe et la Méditerranée a dans sa moindre épaisseur, de Suez à Tineh, près des ruines de Péluse, 120 kilomètres. Une ligne droite tirée entre les points extrêmes de cet étroit espace ne rencontrerait que des terres montueuses; mais en cherchant un peu vers l’ouest la ligne