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soldat trouvait son chroniqueur aussi bien que le général. Non-seulement les journaux allaient porter jusqu’aux plus humbles foyers le récit des exploits des enfans du peuple, mais ils ouvraient leurs colonnes aux innombrables lettres venues des derniers comme des premiers rangs de l’armée. Le peuple n’était plus un anonyme ; il avait, lui aussi, ses rapports, ses ordres du jour, il avait même sa littérature. À voir l’enthousiasme extérieur manifesté par toutes les classes de la nation, qui n’aurait cru qu’il suffisait de frapper du pied le sol britannique pour en faire jaillir des armées ? À la fin des longues luttes de la révolution et de l’empire, après un quart de siècle de batailles, l’Angleterre n’avait-elle pas su mettre sur pied, outre ses marins, une armée de deux cent trente mille hommes et une milice défensive de quatre-vingt mille hommes, et cela dans un temps où sa population n’atteignait pas le chiffre de treize millions d’âmes. Et maintenant, avec une population de vingt-huit millions, et après une période de prospérité industrielle inouie dans l’histoire, allait-elle rester inférieure à ce qu’elle avait été en 1814 ?

La surprise fut grande, plus grande encore l’humiliation, quand dans la courte session du mois de décembre le gouvernement vint confesser publiquement, à la face de l’Europe, que l’Angleterre n’avait pas d’armée. Lors de la convocation du parlement, on avait cru qu’il s’agissait simplement d’un emprunt, et le pays était certainement prêt à donner des deux mains ; mais il se trouva que ce n’était point l’argent, que c’étaient les hommes qui manquaient.

Il en fallait pourtant, et à tout prix. Si nous nous servons de ce dernier mot, c’est parce qu’en effet le gouvernement anglais eut l’idée d’aller chercher des hommes sur le marché, et présenta un projet de loi pour l’enrôlement de soldats étrangers. Nous nous souvenons de l’étonnement, mêlé de honte et de colère, avec lequel le public, en Angleterre, accueillit cette proposition. Elle fut immédiatement baptisée du nom de loi des mercenaires étrangers, et il fut facile de voir qu’elle était condamnée dès sa naissance. Bien qu’elle ait fini par être adoptée et par devenir une loi, elle n’en est pas moins restée une lettre morte, et les discussions auxquelles elle a donné lieu n’ont servi qu’à mettre à nu la faiblesse militaire de la Grande-Bretagne.

Quand on dit que la nation anglaise n’est pas une nation militaire, il faut s’entendre sur le mot. Assurément on ne veut point dire que les Anglais ne se battent pas bien ; leur histoire par le pour eux, et sans rappeler les faits anciens, la magnifique charge de cavalerie de Balaklava, d’autant plus belle qu’elle était inutile, et l’héroïque résistance d’Inkerman, sont des témoignages encore palpitans de la bravoure anglaise. Ajoutons que le simple soldat anglais répond