Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/1305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saurait cependant être rompu que par le mari seul, puisque lui seul a le droit de divorcer. Ainsi le caprice d’une femme a suffi pour mettre à néant les dispositions de la loi religieuse sous laquelle elle était née, et son retour au bercail qu’elle avait quitté a encore rompu son dernier contrat. Il faut dire toutefois qu’il ne s’est pas écoulé de longues années depuis que le retour public des renégats à la foi a été rendu possible, car, il y a vingt ans à peine, un chrétien devenu musulman ne pouvait, sous peine de mort, abjurer l’islamisme. L’Europe est intervenue à ce sujet : elle a invoqué les principes de la liberté de conscience, et a obtenu qu’il en serait autrement que par le passé. Certes l’Europe s’est honorée en agissant ainsi, et la Turquie a eu sa part d’honneur dans cette affaire; mais qui aurait supposé qu’un si beau succès devait avoir pour premier résultat de porter un plus grand nombre de chrétiens, et surtout de chrétiennes, à embrasser l’islamisme par suite de la facilité qui leur est laissée de revenir à leur premier culte ?

Nous cherchions un jour avec quelques musulmans le remède qu’il conviendrait d’apporter à ce double mal. L’un de mes visiteurs, homme assez jovial et assez peu scrupuleux, en découvrit un qu’il nous communiqua. Il proposait que le mari de la première femme chrétienne annonçant la velléité de se faire musulmane se fît musulman par la même occasion, parce que, conservant ainsi son caractère d’époux et se trouvant en outre muni des grands pouvoirs attribués au mari par le Coran, ledit mari pourrait, sans même aller jusqu’aux limites de ses droits, rendre à sa femme la vie assez dure pour lui faire regretter la vie passée, et pour la porter à demander elle-même le retour commun au culte primitif. Il faudrait être plus profond casuiste que je ne le suis pour décider jusqu’à quel point, dans une telle circonstance, on peut faire le mal en vue du bien : je me borne donc à exposer la doctrine de mon ami le musulman. Si cette doctrine était connue à Damas, je ne doute pas cependant qu’elle n’eût pour résultat de donner à réfléchir à quelques femmes par trop impatientes du joug conjugal.

Plus on pénètre dans ces détails de la vie des différens peuples qui composent l’empire ottoman, plus on reconnaît la difficulté de réaliser l’idée d’une législation unique pour cet empire, surtout si cette législation doit tenir un compte suffisant de tous les intérêts d’usage, de nationalité et de croyance. Il y faudra, dans tous les cas, des hommes longuement préparés par des études comparatives de toutes sortes. Peut-être n’est-ce pas un seul code qui pourrait résoudre la question, et encore, même en classant ces peuples par grandes catégories, toutes spéciales en apparence, n’arriverait-on pas, par une législation d’ensemble, à les satisfaire dans à mesure