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pardon des offenses, forme un trait fondamental dans le caractère des Français; mais je ne puis m’empêcher d’ajouter que cette vertu émane de la même source que leurs défauts, — le manque de mémoire. L’idée de « pardonner» répond en effet chez ce peuple au mot « oublier, » oublier les offenses. S’il n’en était pas ainsi, il y aurait journellement des meurtres et des assassinats à Paris, où à chaque pas se rencontrent des hommes qui ont entre eux quelque grief sanglant. »

Nous n’avons choisi que quelques pages caractéristiques dans la Lutèce. Ces fragmens, où l’écrivain allemand juge avec une égale sûreté les partis politiques, les partis littéraires et ce qu’on pourrait nommer les partis sociaux, — ces fragmens suffisent pour donner une idée du point de vue auquel s’est placé l’observateur. Quant à la forme, M. Heine use largement des libertés du cadre épistolaire. Il n’y a plus ici, comme dans les Reisebilder, une sorte de transfiguration poétique de la nature et des hommes. La réalité est serrée de plus près, et ce qui frappe à travers les mille détours de cette causerie pétulante, c’est, nous le répétons, une netteté de coup d’œil sur laquelle certaines boutades humoristiques ne sauraient donner le change au lecteur. Nous avons parlé tout à l’heure de l’instinct prophétique de M. Heine, et nous ne pouvons mieux terminer ce rapide aperçu de son livre que par quelques lignes qui témoignent de cet instinct au plus haut degré. Le même homme qui a entrevu les sombres perspectives de février derrière les émotions belliqueuses de 1840 pressentait aussi dès cette époque toute l’étendue des conséquences de la question d’Orient.

« Ah! que cette question d’Orient est terrible! écrivait l’auteur de Lutèce en janvier 1841. A chaque embarras, elle nous présente sa face hideuse en grinçant les dents d’un air sarcastique. Si nous voulons dès à présent prévenir le danger qui nous menace de ce côté, nous avons la guerre; si au contraire nous voulons rester spectateurs patiens des progrès du mal, nous avons la certitude d’un joug étranger. C’est un fâcheux dilemme. De quelque manière qu’elle se conduise, la pauvre vierge Europe, — qu’elle veille prudemment près de sa lampe allumée, ou qu’elle s’endorme, en demoiselle fort imprudente, près de la lampe à demi éteinte, — nul jour de joie ne l’attend. »


V. DE MARS.


Erratum. — Par une erreur de l’imprimerie, page 677 de ce volume, article de M. Ampère, on a transporté au haut de la page une ligne qui doit être au bas. Un carton où cette erreur se trouve rectifiée a été envoyé à tous nos souscripteurs avec la livraison du 1er mars dernier. Néanmoins, pour la complète intelligence du texte, en cas d’absence du carton, il suffira de commencer la page 677 par la deuxième ligne :

ces eaux soient emprisonnées dam le marbre, au lieu de n’avoir

et de la finir par la première ligne :

un augure consulter avec Numa lui-même les présages du ciel avant


V. DE MARS.