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Je ne pus résister au désir de lui demander si je ne l’avais pas rencontrée le matin dans Broadway. Elle tressaillit comme frappée d’un attouchement électrique et me répondit : — Eh bien ! oui ; il ne servirait à rien de le nier. Ce sont ces bagues qui m’ont trahie ; elles ne le feront plus.

— Votre incognito, miss, n’a pas été découvert, car je n’ai pu voir vos traits, et je ne sais à qui appartient la voiture où vous étiez.

Après l’avoir ainsi rassurée de mon mieux, je me levai et sortis. En arrivant chez moi, l’idée me vint de chercher ce que pouvait contenir le paragraphe qui avait été coupé dans le journal. C’étaient quelques lignes relatives aux nouvelles de Californie, et où il était question d’un jeune homme qui aurait quitté New-York dans certaines circonstances très obscures et débarqué à San-Francisco. Je ne doutai pas que ce jeune homme ne fût le mari de ma belle malade, et je mis le journal à part pour m’en servir au besoin, en me promettent de lire désormais avec attention les nouvelles de Californie.

Quelques jours après, mistress Mason (c’était le nom de la jeune dame) accoucha d’un beau garçon. Je la soignai durant son accouchement et sa convalescence, et je refusai le traitement légitime de mes soins, non par désintéressement, je dois le dire, mais dans l’espoir que, par reconnaissance, elle me dévoilerait enfin le secret auquel j’étais mêlé. Elle n’en fit rien. — Je ne vous délivre pas encore de votre promesse, docteur, me dit-elle ; mais j’espère d’ici à peu de temps vous dévoiler tout le mystère, et même prendre vos conseils. En attendant, acceptez cette bague comme gage de ma reconnaissance et venez me voir dans huit jours ; j’espère pouvoir à cette époque ne vous plus rien cacher.

Je fus ponctuel, et au bout de huit jours, je me présentai à la maison mystérieuse, que je trouvai complètement vide. Je cherchai le propriétaire de la maison, et je lui demandai s’il savait où étaient allés ses locataires. Il l’ignorait. — Avaient-ils annoncé leur départ ? — Non, me répondit-il ; je crois que leur départ a été fort inattendu, même pour eux. Le loyer m’a été payé par le mari de la dame, qui est, je crois, en Californie jusqu’au mois de novembre prochain. Il y a donc encore trois mois à courir. C’est une étrange affaire toutefois : le mari a voulu à toute force me payer d’avance, et depuis que sa femme est partie, j’ai appris qu’il m’avait donné un faux nom ; mais peu importe ! le loyer est payé, et j’attendrai jusqu’à l’expiration du terme avant de mettre la maison en location.

Trois mois après cette visite, je lus dans un journal qu’un enfant du sexe masculin, âgé selon toute probabilité de quatre ou cinq mois, avait été trouvé dans l’Hudson, et que tout faisait supposer qu’un