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le droit, le génie et la raison, sans que tout cela suffît pour lui faire gagner ses procès devant le trône de ses protecteurs.

Mais Dieu, à côté de la société spirituelle instituée et réglée par lui-même, a créé la société temporelle, et si là comme partout il se réserve la secrète conduite des événemens et le soin de frapper les grands coups de son infaillible justice, il en a livré le gouvernement habituel à la libre et intelligente activité de l’homme. Retrancher la vie, ou tout ce qui fait le prix de la vie, à cette société temporelle, la réduire à la stagnation, à la servitude, à l’indifférence, à la misère morale, pour ne reconnaître qu’à la société spirituelle le droit de vivre et de grandir, et qu’à la seule controverse religieuse le soin de passionner les âmes, c’est pousser l’humanité aux abîmes. Cela s’est vu plus d’une fois dans l’histoire, comme aussi on a vu l’excès contraire ; mais un tel état de choses répugne aux lois de la création. Il n’est conforme ni aux vues de Dieu, ni à l’intérêt de l’église, de condamner la société civile au néant. L’homme a d’autres droits que celui de choisir entre le sacerdoce et la servitude. Il n’est rien qui approche plus du ciel qu’un monastère habité par des religieux librement détachés de la terre ; mais transformer le monde en un cloître peuplé de moines involontaires, ce serait contrefaire et devancer l’enfer. Dieu n’a jamais fait de l’asservissement et de la dégradation du monde la condition de la liberté de son église. Heureusement d’autres temps viendront où à côté de l’église triomphante, libre, féconde, surgira une société ardente et humble dans sa foi, mais en outre énergique, belliqueuse, généreuse et virile jusque dans ses écarts ; où l’autorité sera à la fois sanctifiée et contenue, la liberté ennoblie par le sacrifice et par la charité ; où les héros coudoieront les saints, où les cloîtres, plus peuplés que jamais, ne seront pas le seul asile des âmes droites et fières ; où beaucoup d’hommes, non pas tous, mais beaucoup, retrouveront la pleine possession d’eux-mêmes ; où les souverains auront à compter avec leurs peuples, les forts avec les faibles, et tous avec Dieu.

Au IVe et au Ve siècle, on ne voyait pas même poindre l’aurore de cette rénovation nécessaire. Tout le vieux monde impérial était encore debout. Le christianisme avait accepté cette abjection comme il accepte tout, avec la confiance surnaturelle d’y aider le bien, et d’y réduire le mal. Cependant, malgré sa force et son origine divine, malgré l’humble et zélé dévouement des pères et des pontifes à la majesté décrépite des césars, malgré ses hommes de génie et ses saints, le christianisme ne réussissait pas à transformer la vieille société. Eût-il réussi à s’en emparer, avec les élémens qui la constituaient alors, il n’en aurait pu faire qu’une sorte de Chine chrétienne ; Dieu lui épargna cet avortement ; mais dans ce qui s’est