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reproduire. La presse ne tint tête quelque temps au nouveau gouvernement qu’au prix de violences inouïes, qui répugnaient au caractère droit et à la raison déjà mûre de Léon Faucher. Il refusa de s’associer à l’ardente croisade de Carrel contre la monarchie nouvelle, et tout en se plaçant dans les rangs de l’opposition de gauche, où l’appelaient ses convictions, il porta dans ses opinions une modération qui n’excluait pas l’énergie. Ses principaux articles du Temps furent des fragmens sur la philosophie de l’histoire : il n’arriva que progressivement à la politique proprement dite.

Il essaya bientôt de créer un journal du dimanche, intitulé le Bien public. Ce journal ne réussit pas, et je ne l’aurais pas mentionné, s’il n’avait donné lieu à un acte admirable, connu des seuls amis de Léon Faucher. Le Bien public avait été fondé par des actionnaires ; il crut de son devoir, bien qu’il n’y fût nullement obligé, de leur rembourser tout ce qu’ils avaient avancé, et contracta sans hésiter de lourds engagemens qui ont pesé longtemps sur sa pauvre et laborieuse jeunesse. Il était déjà ce qu’il a toujours été, honnête et fier jusqu’à l’excès, si l’excès est possible en fait d’honneur. Il n’a jamais eu ce qui s’appelle du bonheur ; ses moindres pas lui ont coûté les plus grands efforts, et sans l’énergie de sa résolution, il n’aurait jamais triomphé des obstacles qu’il a rencontrés sur son chemin, et qu’il aggravait encore par l’austérité scrupuleuse de ses mœurs publiques et privées.

Cependant l’ardeur de la lutte, s’apaisait ; les passions anarchiques, vaincues dans de grandes batailles, avaient été refoulées dans les derniers rangs du peuple, où elles devaient fermenter en silence pour produire plus tard une explosion. L’opposition constitutionnelle s’était décidément séparée de la conspiration républicaine. Parmi les organes de cette opposition légale et parlementaire figurait au premier rang le Courrier français. Léon Faucher y entra d’abord comme rédacteur ordinaire, et le rédacteur en chef, M. Châtelain, étant venu à mourir en 1839, il fut naturellement désigné pour le remplacer. C’était encore alors une situation considérable que celle de rédacteur en chef d’un journal accrédité, après tous les glorieux exemples qu’on avait vus ; il en remplit les devoirs avec un sentiment peut-être exagéré de l’importance de ce rôle, mais cette exagération ne saurait être blâmée, puisqu’elle tournait au profit de la dignité personnelle, de l’indépendance et du talent.

J’arrivais alors moi-même à Paris, et j’essayais à mon tour de faire mes premières armes dans la presse. J’avais des opinions tout à fait différentes, et j’écrivais dans un journal, aujourd’hui oublié, qui défendait la politique de la majorité conservatrice et qui s’appelait le Journal général de France. Je rappelle ici pour la première fois ces faits obscurs, parce qu’ils n’ont pas été sans quelque influence sur un événement qui a fait alors beaucoup de bruit : je veux parler de la coalition. Léon Faucher voyait tous les jours MM. Thiers et Odilon Barrot, chefs de l’opposition constitutionnelle ; de mon côté, j’étais accueilli avec une bienveillance, qui ne m’a jamais manqué, par MM. Guizot et de Rémusat. Nous n’inventâmes ni l’un ni l’autre la coalition ; elle fut décidée dans des sphères où nous n’étions pas encore admis, mais dès que nous en vîmes poindre la pensée, nous la saisîmes tous deux avec ardeur.

Nous avions tort sans doute, puisque en fin de compte la coalition a si mal tourné. Ceux qui jugent toujours d’après l’événement diront que son succès