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doux, grave, tranquille, où le devoir consiste à laisser couler ses jours entre l’étude et l’admiration ? Les esprits les plus froids, les plus ironiques, les moins propres à goûter Rome à leur arrivée, se sentent transformés peu à peu dans cet élysée tout parfumé de l’odeur des pins et muré par des lauriers. Le moyen de ne pas épanouir son âme quand il suffit d’ouvrir la fenêtre pour voir Rome à ses pieds et les cyprès du Mont-Marius colorés par les derniers feux du jour ? Aussi, en quittant pour jamais la villa Médicis, l’artiste lauréat emporte-t-il avec, lui tout un monde où son cœur se réfugiera plus tard, afin d’échapper au souffle glacé de la réalité, certain de retrouver dans ses souvenirs, comme dans un sanctuaire, la flamme de l’inspiration.

Les derniers envois de l’Académie de France, qu’on a pu voir pendant quelques semaines exposés à l’École des Beaux-Arts, justifient presque complètement ces réflexions ; nous n’aurons aucune peine à le prouver en jetant sur quelques-uns des derniers travaux de nos pensionnaires un rapide coup d’œil. Parmi ces travaux se présente d’abord une remarquable peinture de M. Bouguereau. On ne pourrait souhaiter un plus frappant exemple de l’action salutaire des études romaines sur de jeunes esprits. L’œuvre de M. Bouguereau est une œuvre sérieuse, longtemps méditée, et que colore un large reflet de la Rome chrétienne. Et en effet le sujet qu’il a choisi demandait plus d’une visite aux catacombes, quelque chose de l’émotion qui vous saisit en présence de la bénédiction urbi et orbi, et un souvenir de la piété rustique qui se prosterne devant le bambino de l’église d’Ara cœli. Ce sujet, c’est l’ensevelissement de sainte Cécile dans les catacombes de Rome après son martyre.

Une foule de chrétiens se presse dans une étroite enceinte ; la foi et l’enthousiasme illuminent tous les visages. Avec quel amoureux respect on entoure le corps de la vierge déjà toute radieuse de la lumière du paradis ! Trois hommes soutiennent ce magnifique trophée de la mort et descendent un escalier qui mène au saint caveau. À gauche et un peu trop dans l’ombre, le peintre a placé l’évêque qui se dispose à bénir. De jeunes néophytes l’entourent et préparent les vases sacrés. À droite, une femme et sa fille couvrent la main de la sainte de baisers et de larmes. Une tendresse chrétienne éclate dans ce groupe. Sur le premier plan, une femme étend les bras vers la sainte en lui présentant son enfant. Ce mouvement passionné, cet élan maternel et la tête blonde du nouveau-né sur laquelle la lumière se repose si doucement, ressortent d’une manière charmante sur un fond austère et purement religieux. Si je ne craignais de faire un anachronisme, je voudrais que cet homme dont la face est collée contre terre fût le bourreau converti subitement, mais écrasé sous le poids de sa conscience.

Telle est à peu près la silhouette d’une œuvre importante, dont l’auteur se montre intelligent, consciencieux, correct, bien que les scrupuleux sur la perspective soient en droit de lui adresser quelques reproches. L’ordonnance de sa composition ne mérite que des éloges. Louons-le également d’avoir su résister, dans un sujet pareil, à la tentation de reproduire un de ces effets d’ombre et de lumière auxquels les peintres ont donné le nom de coup de pistolet. Ceci prouve la sagesse du jeune artiste. On est sûr maintenant qu’il a plutôt le sentiment de l’histoire que de la peinture de genre. Ce