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Sainte-Hélène, ne manquerait pas d’y mettre fin. Lord Holland, non content de parler en sa faveur dans le parlement, lui envoyait des présens, lui faisait parvenir des témoignages d’admiration et de sympathie. Comment admettre que ce même lord Holland, devenu l’un des membres influens d’un nouveau cabinet, ne s’empresserait pas de rendre à la liberté le héros dont il avait déclaré la détention contraire au droit des gens ? Comment croire même que les whigs, maîtres du pouvoir, pussent joindre leurs efforts à ceux des puissances continentales pour empêcher le peuple français d’expulser la maison de Bourbon et de relever le trône impérial, eux qui n’avaient cessé de proclamer le droit appartenant aux peuples de se donner les gouvernemens qui leur conviennent le mieux ? C’était donc sur l’avènement des whigs que reposait le principal espoir de Napoléon ; mais pour aider à cet avènement, pour leur faciliter ce qu’il les croyait disposés à faire en sa faveur, il fallait exciter en Angleterre une vive indignation contre les détenteurs actuels du pouvoir, contre ceux qu’on accusait d’exercer sur le grand captif des traitemens si barbares ; il fallait éveiller jusque dans les esprits naguère encore les plus hostiles envers lui ce sentiment de sympathie qui s’attache presque infailliblement à une grande infortune, lorsque celui qu’elle atteint est tombé du faite de la gloire et de la prospérité.

Une sorte de conspiration s’organisa dans cette pensée parmi les exilés contre sir Hudson Lowe et ses commettans. Cette conspiration, bien excusable sans doute dans les circonstances, mais qui, comme toutes les conspirations, ne pouvait se poursuivre qu’aux dépens de la franchise, et de la vérité, fut méditée dès les premiers instans du séjour à Sainte-Hélène. Ce que je dis ici n’est pas une simple conjecture, ce n’est pas même une simple déduction de faits évidens, incontestables, qui ne s’expliqueraient pas autrement. Nous avons à ce sujet les aveux formels des intéressés. M. de Las-Cases s’exprime ainsi, à la date du 30 novembre 1815, c’est-à-dire bien avant l’arrivée de sir Hudson Lowe, dans un passage de son Mémorial qui a été retranché à l’impression : « Il ne nous restait que des armes morales. Pour en faire l’usage le plus avantageux, il fallait réduire en système notre attitude, nos paroles, nos sentimens, nos privations même ; il fallait qu’une nombreuse population en Europe prit un vif intérêt à nous, et que l’opposition en Angleterre ne manquât pas d’attaquer le ministère au sujet de la violence de ses procédés envers nous. » - M. de Montholon disait un jour à un officier anglais qui avait failli être désigné par sir Hudson Lowe pour résider à Longwood en qualité de surveillant officiel : » Mon cher ami, vous l’avez échappé belle, si vous étiez venu ici avec cette commission, nous aurions très certainement ruiné votre réputation. C’était une partie de notre système. » Bien des années après, M. de