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avait une erreur de bonne foi de la part du peuple anglais, peuple calculateur, qui n’aime pas à donner inutilement son argent, aspirant à réaliser la vitesse dans les transports, mais s’effrayant de la dépense nécessitée par les rail-ways, il était heureux de croire qu’il aurait un moyen de s’épargner de lourds sacrifices. Des services publics s’organisèrent dans plusieurs directions. On compta jusqu’à quarante voitures à vapeur. On fut un peu désappointé néanmoins quand il fut définitivement constaté par un comité d’enquête de la chambre des communes, à propos d’une question d’impôt, que ces voitures atteignaient tout au plus une vitesse régulière de 16 kilomètres par heure, vitesse insuffisante pour constituer une révolution dans les transports. Quand les locomotives furent entrées en lice sur les chemins de fer, on reconnut bientôt que nulle comparaison n’était possible entre les deux systèmes. Les voitures à vapeur pourraient-elles au moins remplacer avantageusement les voitures attelées de chevaux là où il n’existait pas de rail-ways ? Les plus résolus partisans de ces appareils s’obstinèrent d’abord à le croire. Malheureusement ils virent échouer l’un après l’autre tous les services institués. Comme les secousses imprimées par la surface plus ou moins rude des routes fatiguaient excessivement la machine et nécessitaient de continuelles et coûteuses réparations, ces entreprises n’auraient pu vivre qu’en portant le prix des places à un chiffre exorbitant[1]. Chaque jour nous a éloignés davantage de ce régime bâtard, qui, en voulant associer l’ancien et le nouveau mode, se privait des avantages de l’un et de l’autre. Que la machine à vapeur réclame une voie d’une nature spéciale, les faits ont forcé tout le monde à le reconnaître.

Autre sujet de discussion. Diverses personnes admettaient bien le système des voies garnies de rails, mais elles repoussaient l’emploi des locomotives. Elles voulaient conserver les anciens moyens de traction qui leur paraissaient moins dangereux, moins coûteux et suffisamment efficaces. On lit à ce sujet de minutieuses recherches sur la force des chevaux. Comme il était généralement admis alors qu’un chemin ordinaire en gravier offre seize fois plus de résistance qu’un chemin de fer, une route en cailloux broyés sept à huit fois plus, enfin une route macadamisée seulement quatre fois plus, on disait que sur une route ferrée les chevaux suffiraient pour traîner avec toute la vitesse désirable des poids énormes. Plus ou moins arbitraires en eux-mêmes, ces calculs auraient été troublés à chaque instant dans la pratique par quelque circonstance imprévue. Seule la vapeur présentait une force certaine, et dont il était possible de calculer le degré, de régler l’usage. Sans elle, la victoire sur l’espace restait à obtenir. Que le génie de l’homme parvint un jour à utiliser d’autres forces motrices, il était permis de l’espérer ; mais pour le moment la machine à vapeur était le seul instrument à mettre en œuvre. La résistance dura moins longtemps sur ce terrain que sur celui des voitures à vapeur. On finit par s’arrêter à cette pensée, que la traction sur des rails à l’aide de chevaux pourrait être tout simplement quelquefois une annexe des chemins de fer.

  1. Des essais analogues, on se le rappelle, eurent lieu en France vers la même époque et sans plus de succès entre le Carrousel et Versailles.