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Rien qu’à voir, comparant les jours présents aux miens,
Sous les habits nouveaux tous les vices anciens.
L’homme, le même au fond, seulement se transforme.
Cependant de quel rire inépuisable, énorme,
Tous deux nous poursuivions les travers de nos temps,
Grands seigneurs et bourgeois, et fourbes et pédans !
Car l’austère raison a pour sœur la satire,
Le méchant mis à nu s’enfuit devant le rire ;
Je le croyais du moins… je le croirais toujours…
Naïf espoir de l’art où s’épuisent nos jours !
Oui, j’ai là sous la main pour trente comédies
De mille traits mordans mes tablettes fournies,
Vicomtes et marquis, jadis tout parfumés,
Ducs, en cochers anglais aujourd’hui transformés,
Tudieu ! je vous suivrais jusqu’en vos écuries !
Les nôtres, vains, légers, tout pleins de vanteries,
Sous leurs panaches blancs et sous leurs rubans verts,
Faisaient gloire du moins de se connaître en vers ;
Et parmi cent beautés aux manières exquises,
Nous avions Sévigné, la perle des marquises,
Ninon, esprit hardi, La Fayette, esprit droit,
Et même Maintenon, qui régna près du roi.
Vraiment monsieur Jourdain, si fort que j’en plaisante,
Savait à cœur ouvert rire avec sa servante,
Ses propos avisés ne le blessaient en rien ;
Le bonhomme Chrysale aussi s’en trouvait bien ;
Mais leurs bourgeois gourmés, leurs banquiers, hommes graves,
N’ont plus que des muets et quasi des esclaves :
« Silence, ou je vous chasse ! » Et tous d’égalité
Ensuite ils parleront et de fraternité :
Oui, pour mieux abaisser les têtes les plus hautes,
Pour agiter l’État, qui trois fois par leurs fautes
Ou par leurs trahisons croule et les laisse enfin
Tout pâles devant ceux qu’ils menaient par la faim !
Le peuple aurait aussi mes censures loyales.
Enfant du vieux Paris et des piliers des halles,
J’ai vu le fond secret de maint noir atelier,
Et plus d’un cœur mauvais sous plus d’un tablier.
Je fais sa large part aux gênes de la vie,
Sans jamais excuser la bassesse et l’envie.
Mais il est en tout temps des écrivains menteurs.
Comme jadis les rois, le peuple a ses flatteurs.
Ceux qui plaignent le pauvre au riche font la guerre,