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très fin et très subtil, avec beaucoup de franchise et d’ouverture de cœur, remplissait de sa joie et animait de sa gaieté le palais un peu délabré de ses ancêtres. Sa femme, assez belle, mais d’une beauté sèche et pour ainsi dire indigente, l’aimait éperdûment. Ses amis le plaisantaient quelquefois sur l’excès de son bonheur. « Où s’arrêtera, disait-on avec emphase, la fortune des Feraldi ? Le Pactole coule dans leur jardin ; les rejetons des familles princières viennent se greffer sur leur arbre généalogique. Nous te prédisons, ô trop heureux Alexandre, que ta femme avant deux mois accouchera d’un pape. »

Le 1er septembre 1817, la comtesse mit au monde une fille qui fut baptisée sous le nom de Vittoria. Un an plus tard, Vittoria eut un frère qu’on appela Victor. Le triomphant petit comte Alexandre n’avait pas trouvé de noms plus modestes pour ses enfans. C’était plaisir de l’entendre demander si son fils Victor avait pris le sein, et si sa fille Vittoria avait mangé sa bouillie. La comtesse et les gens de la maison appelaient tout bonnement le petit garçon Toto et la petite fille Tolla.

Le palais Feraldi est situé dans un des plus nobles quartiers de Rome, à deux pas de l’ambassade de France. Il n’est ni très grand ni très beau : il n’a ni la vétusté originale du palais de Venise, ni l’immensité du palais Doria, ni la majesté du palais Farnèse ; mais il a un jardin. Tolla fut élevée au milieu des arbres et des fleurs. Une grande allée, abritée contre lèvent du nord par une muraille de cyprès, était sa promenade d’hiver. A l’âge de sept ou huit mois, elle fit la connaissance d’un vieux citronnier en fleurs qui devint son meilleur ami. Elle tendait vers lui ses petits bras ; elle arrachait à belles mains les longues fleurs et les gros boutons violacés, et elle les portait à sa bouche. Le médecin de la maison, le docteur Ely, permit que dès les premiers jours d’avril on la gardât une heure ou deux au jardin, étendue en liberté sur un tapis, à l’ombre de son citronnier, ou sous un chêne vert, autre ami vénérable. L’été venu, c’est au jardin qu’elle prit ses premiers bains, dans une eau que le soleil avait eu soin de chauffer. La liberté, le mouvement, le grand air et les parfums généreux qui s’exhalent des arbres, tout concourut à fortifier ce jeune corps : Tolla grandit avec les plantes qui l’environnaient, sans effort et sans douleur. Une promenade au jardin l’endormait en quelques minutes ; en s’éveillant, elle souriait à la vie, à ses parens et à « on jardin. Le travail des premières dents, si redouté des mères, se fit en elle sans qu’on s’en aperçût, et un beau matin la comtesse, qui la nourrissait, poussa un cri de surprise en se sentant mordue par deux petites perles bien aiguisées.

Tous les ans, au mois d’août, le comte s’embarquait pour Capri, où il possédait un beau vignoble. Tandis qu’il surveillait ses vendan-