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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/486

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premier jour de marche a été signalé pour moi par un incident bien fait pour causer quelque émotion. Nous étions arrivés vers le soir au pied d’une montagne dont une épaisse forêt de sapins tapissait les flancs. Le soleil allait se coucher, et j’atteignais le plateau dénudé de cette montagne, quand un violent tourbillon de vent du nord faillit me renverser de mon cheval. Il me restait à gravir un petit mamelon au milieu de l’obscurité, augmentée par d’incessantes rafales de neige. Tout à coup mon cheval s’arrêta : il avait perdu la trace du sentier qui se déroulait devant nous en tourniquet comme les routes pratiquées dans les Alpes ou les Apennins. Toute mon escorte s’arrêta de même, et pour accroître notre embarras, un troupeau de vaches et d’ânes, conduit par quelques enfans, vint obstruer les défilés où nous cherchions en vain à pousser nos montures. Il fallait cependant sortir de cette immobilité désespérante, sous peine d’être mortellement saisis par le froid intense qui règne sur ces hauteurs, Notre kavas prit un parti désespéré, et lança son cheval au hasard à travers les masses de neige qui nous entouraient. Je m’abandonnai comme lui à la Providence, et mon cheval fendit bientôt avec une impétuosité héroïque la mer de neige où je l’avais poussé, Deux fois il perdit pied, deux fois il retrouva son point d’appui, Enfin nous atteignîmes un terrain plus solide ; le défilé périlleux était franchi. Nous étions sur le sommet de la montagne, près d’une maison de refuge que nous annonçait de loin sa fumée hospitalière. Notre escorte nous rejoignit au bout de quelques minutes, et j’en fus quitte pour une main à moitié gelée, où la chaleur vitale ne put être réveillée qu’à grand’peine. Tels sont les incidens auxquels doit s’attendre le voyageur qui pendant l’hiver se rend à pied d’Anatolie en Palestine.

Oublions ces tristes et inévitables mésaventures. Nous sommes à Angora, l’ancienne Ancyre. J’ai passé dans cette ville à peu près quinze jours du mois de février 1852. Pour un antiquaire, il n’y a dans l’ancienne capitale de la Galatie que d’assez pauvres débris à visiter ; pour un voyageur préoccupé comme je l’étais de la vie actuelle de l’Orient, il y a quelques observations curieuses à recueillir. J’ai d’abord à noter toute sorte d’ennuis qui attendent malheureusement presque tous les Européens peu familiers avec les usages administratifs des pays musulmans. J’avais oublié, lors de mon départ, de faire rectifier une erreur qui s’était glissée dans mon passeport. Je comptais réparer cet oubli à Angora, résidence d’un kaïmakan ; celui-ci refusa de s’y prêter à moins d’un pour-boire de quinze mille piastres. Ni représentations, ni remontrances, ni prières n’eurent d’effet sur cette très cupide excellence, et tout ce que je pus obtenir, ce fut une réduction de l’impôt. Poussée à bout et bien décidée pourtant à ne pas donner une obole à ce fripon, je lui déclarai que, n’ayant avec moi que juste ce qui m’était indispensable pour atteindre