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où il n’est plus retombé depuis, que M. Charles de Bernard se montre bien réellement le disciple de Balzac, de Seraphita et du Lys dans la Vallée ; on sent qu’il n’a pas encore dégagé sa véritable manière, qu’il est poursuivi par le souvenir de ce qu’il a lu ou par l’influence de ce qui s’écrit près de lui. Plus tard, il rechercher à une autre filiation, d’autres modèles bien mieux appropriés aux qualités de son talent, au penchant de son esprit. Nous aurons alors le vrai roman, ou, pour mieux dire, la vraie comédie de M. Charles de Bernard, l’Homme sérieux, les Ailes d’Icare, l’Arbre de Science, le Pied d’argile, le Paratonnerre, la Cinquantaine, et, en dernier lieu, bien qu’avec plus de diffusion et de lenteur, le Gentilhomme campagnard. Il y redevient tout à fait lui-même et parfois supérieur. Pendant cette période de dix ans qu’il a si bien occupée, on se demandait souvent ce que devenait la comédie. Je ne voudrais pas dire qu’elle se trouvât tout entière dans ces romans de M. Charles de Bernard : les exagérations ne valent rien, surtout à propos d’un homme qui eut en horreur l’enflure et le charlatanisme ; mais à coup sûr la comédie y existait en germe, et peut-être s’en aperçoit-on mieux aujourd’hui ; elle y existait, et ne demandait pour se développer dans toute sa sève qu’une main plus ferme et plus convaincue.

C’est ici qu’il sied de toucher au point délicat, sans lequel notre appréciation serait trop incomplète. Ni l’élévation, ni la finesse, ni la distinction, ni le sentiment vrai de la justesse et de la mesure ne manquèrent à M. Charles de Bernard. Il entrevit sans nul doute ce rôle qu’il pouvait remplir, cette ligne qu’il pouvait suivre entre les excès et les banalités du réalisme, le service éminent qu’il pouvait rendre à la société, à la littérature, en réagissant contre les tendances déjà visibles qui commençaient à précipiter le roman vers les bas-fonds d’une popularité grossière ou d’une exploitation industrielle. Il eut le goût de cette tâche réparatrice, il n’en eut pas toujours le courage, ou plutôt on eût dit que, soit défaut d’éducation littéraire, soit hésitation naturelle, il était partagé entre deux penchans contraires, l’un qui le ramenait aux choses distinguées, sa vocation véritable, l’autre qui le rapprochait de la vulgarité, sa distraction fortuite. Il ressemblait alors quelque peu à un homme de bonne compagnie qui, fourvoyé par hasard ou par le malheur des temps dans une société moins choisie, s’y résigne d’abord par philosophie, et s’y accoutume ensuite par faiblesse. Il comprit admirablement ce qu’il avait à faire, mais la conviction et la volonté ne furent pas au niveau de l’intelligence. Il voyait l’art de son temps égaré en deux voies extrêmes. Son judicieux esprit, son observation sagace, lui disaient qu’en marchant au milieu, il serait dans le vrai et arriverait au but. Par malheur, il se fatigua trop vite, et trop souvent même