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et de l’Ecueil ; joignez-y les nouvelles inédites, les deux pièces de théâtre : Une Position délicate et Madame de Valdaunaie, le recueil poétique : Plus Deuil que Joie, et les pages inachevées du Veau d’Or ; rappelez, pour mémoire, la collaboration de M. Charles de Bernard à un recueil monarchique, France et Europe, où il publia, en 1838, le Vieillard amoureux et de belles pages sur la mort du prince de Talleyrand, et vous embrasserez d’un coup d’œil cette carrière littéraire, qui fut courte, mais laborieuse, et qui, sans rivaliser de production incessante avec les colosses aux pieds d’argile du roman-feuilleton, eut pourtant ses heures de fécondité.

Cette carrière finit au moment où allait commencer une nouvelle ère politique, ère d’angoisses et de trouble, d’expériences fatales et d’expiations douloureuses, où le regard si juste de Charles de Bernard aurait pu trouver des sujets d’observation et de satire, mais où l’inquiétude et la menace coudoyaient de trop près le ridicule pour laisser à la comédie tout son jeu. Peut-être M. Charles de Bernard, ennemi de l’exagération, du bruit, du sentimentalisme hypocrite et doucereux, eût-il reculé devant ces nouveaux modèles et se fût-il replié sur lui-même, comme le firent à cette époque bien des esprits distingués. Il n’eut pas même le temps et la force de choisir entre la parole et le silence. Atteint dès longtemps d’une maladie organique qui le minait lentement, il vécut deux ans encore, de plus en plus taciturne, renfermé, ne recevant que quelques amis qu’il affligeait de sa tristesse, et qui durent même cesser leurs visites de peur de l’importuner ; mais ils se retrouvèrent tous près de son lit de souffrance, car cet esprit sceptique et morose, uni à un noble cœur, eut le secret d’inspirer de profondes et durables affections. Ce fut à Sablonville, le 6 mars 1850, que M. Charles de Bernard mourut, âgé de quarante-six ans, après avoir reçu l’avant-veille une visite de M. de Balzac, dont l’amitié ne s’était jamais démentie, et qui ne devait lui survivre que six mois à peine. Ajoutons qu’il mourut comme fût mort un de ses ancêtres, courageusement et chrétiennement.

Il est facile maintenant de se faire une idée de sa vie, dont l’histoire est presque tout entière dans ses ouvrages, car il a mis à la cacher le soin que d’autres mettent à prendre pour confident de leurs moindres actions le public, à qui suffisaient leurs livres. Cette vie, si nous l’avons bien comprise, fut tour à tour, sinon dominée, au moins influencée par des tendances diverses qui s’y succédèrent sans la fixer. Venu trop tard pour être entraîné dans le grand mouvement du romantisme, trop tard surtout pour imiter ou continuer Walter Scott, il en garda pendant quelque temps la trace lointaine, qui s’effaça bientôt sous le large pied de M. de Balzac. Trop clairvoyant,