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contre-révolutionnaires, il se met en devoir de montrer combien ces législateurs arrogans de la constituante, qui pensaient décider du monde à leur gré et renouveler la face entière de la société, obéissaient sans le savoir et aveuglément aux nécessités héréditaires de leur situation, et suivaient comme au fil de l’eau la pente générale de notre histoire. Dans une première étude intitulée Origines historiques de la révolution, M. de Carné nous fait voir après MM. Thierry et Guizot combien, depuis les premiers successeurs d’Hugues Capet, tout marche dans nos annales non assurément vers aucune liberté politique, mais vers l’égalité civile et la prépondérance du tiers-état, dont le mouvement de 1789 ne fut que le couronnement. Une fois de plus, avec lui, nous voyons combien Sieyès se trompait quand il s’écriait la veille des états-généraux que le tiers-état n’était rien : il était tout au contraire, même avant de s’être donné la peine de le vouloir. La royauté lui avait abandonné tout l’exercice du pouvoir immense dont les événemens et les siècles l’avaient investie. Ainsi la constituante croyait commencer une révolution : elle l’achevait ; elle croyait proclamer des idées : elle consommait un fait ; orgueilleuse de son origine populaire, elle croyait n’avoir pas d’ancêtres : sans le savoir, comme les héros de tragédie, elle était du sang royal, et tandis que, en véritable élève de Rousseau, elle ne voulait suivre que l’école de la nature, elle ne faisait, au fond, que répéter les leçons de Louis XI, de Richelieu et de Louis XIV.

Voilà ce que M. de Carné nous rappelle très bien et ce qui réconcilie, dans une certaine mesure, un admirateur sincère de la royauté comme lui avec les actes de la constituante. On pourrait peut-être pousser le rapprochement plus loin encore et remarquer, — tout en faisant ! a part des grandes différences qui séparent l’œuvre lente des siècles des décisions précipitées d’une assemblée populaire, — que la constituante mérita dans sa courte carrière des reproches et des éloges à peu près analogues à ceux qu’on peut faire aux plus grands de nos rois. Ceci n’est point un aussi grand paradoxe qu’on le croirait, et c’est du livre même de M. de Carné que j’en voudrais tirer la preuve. C’est M. de Carné qui fait observer en effet avec sagacité, mais non sans surprise, combien les réformes de la constituante en matière de droit civil diffèrent de ses brusques et stériles tentatives en matière de droit politique. En droit politique, la constituante n’a rien fait : il n’est rien sorti des combinaisons chimériques par lesquelles elle croyait mettre à néant toutes les expériences du passé et défier tous les dangers de l’avenir. Il ne reste pas même de matériaux de ses constructions, car sur ce sol qu’elle a rasé, elle ne dressa qu’un château de cartes. Il en est tout autrement en matière de droit civil. Presque toutes les institutions civiles de la