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Mais si les effets civils de la révolution sont aujourd’hui plus puissans et plus répandus que jamais, en revanche on ne peut se dissimuler que sa considération politique et morale ne soit extrêmement affaiblie depuis les événemens de 1848. On se demande assez généralement, avec un doute légitime en apparence, quelle est la forme politique qui convient à une société organisée sur le modèle civil de 1789. Est-ce la liberté constitutionnelle ? Il n’est pas de mode de l’affirmer ni même de l’espérer. Est-ce la démocratie républicaine ? De tous les gouvernemens qui se sont succédé depuis soixante ans, aucun n’a eu une existence plus agitée et plus courte que la république, aucun n’a laissé derrière lui une mémoire chargée de souvenirs plus pénibles. Est-ce le pouvoir absolu ? Cela serait triste à confesser, et il n’y a que les plus résolus qui ne répugnent pas à faire un tel aveu. Osons le dire, bien qu’il en coûte, l’idée que la révolution de 89 a rendu les peuples incapables d’une forme politique régulière et durable, — qu’elle a moins été une révolution unique que le commencement d’une série d’agitations successives et interminables, — l’idée qu’en interrompant les traditions sans assurer la liberté, elle a rendu difficiles à la fois la dignité dans la soumission et la sécurité dans l’indépendance, — cette idée-là est aujourd’hui très accréditée. La variété de nos expériences et l’uniformité de nos malheurs ont fait naître cette opinion chez presque tous nos voisins et chez beaucoup de nos concitoyens. En jouissant des bienfaits civils, on ne se promet rien, on craint tout même des effets politiques de la révolution.

La révolution française présente ainsi un double aspect, et chacun, suivant ses goûts, la tournure de son esprit, ses intérêts ou ses préférences, s’attache à regarder l’une ou l’autre face. Les peuples, par exemple, en général goûtent beaucoup tout ce qui vient de la révolution et qui lui ressemble ; car les peuples, composés d’hommes qui l’ont leurs affaires privées avant de songer à la chose publique, sont surtout sensibles aux libertés et aux intérêts civils. Partout où il y a une conscience troublée par l’inquisition d’une religion d’état, partout où une ambition est contrariée dans son cours légitime par une exclusion ou un privilège de caste et de naissance, partout où une fortune particulière est lésée par un déni de justice ou une inégalité de contributions, on tourne les yeux vers les principes de 1789 vers l’événement qui les a fait prévaloir et vers la nation qui les représente. Le simple public, presque partout, est donc assez favorable à la révolution française ; mais les gouvernemens et les hommes d’état, dont le métier est d’être politiques avant tout, tous ceux qui portent le poids de la responsabilité politique dans chaque