Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/600

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les composés aucune trace des composans ? Si dans l’azotate de fer l’acide azotique et l’oxyde de fer n’existent plus, le nom donné par les chimistes ne devra-t-il pas induire en erreur et conduire à de fausses conclusions ? N’est-il donc pas important de savoir comment ces combinaisons s’effectuent et de connaître la constitution des corps composés ? C’est sur cette constitution que repose la nomenclature, et c’est la nomenclature qui nous indique à priori quelques-unes des propriétés de chaque corps. Enfin, comme dans toute question scientifique, un intérêt plus sérieux et plus élevé domine ici l’utilité pratique. Cette étude nous fait pénétrer dans la nature intime des corps, elle nous enseigne les procédés les plus cachés, les lois les plus secrètes de la nature.

La Méthode de Chimie de M. Laurent donne sur la constitution des corps des idées nouvelles, mais elle n’est faite que pour les personnes déjà versées dans l’étude de la science, et n’a rien d’élémentaire. L’auteur suppose toutes les anciennes théories connues, et il les combat sans les reproduire. Même pour les chimistes, cette lecture est fatigante. C’est un amas un peu pédantesque de formules bizarres, propres pour la plupart à M. Laurent et à M. Gerhardt. On a souvent peine à retrouver des corps déjà connus sous ces apparences nouvelles. Néanmoins beaucoup d’expériences et une foule d’idées originales rendent ce livre intéressant. On a pu déjà voir combien la question est délicate et combien il est difficile d’avoir des idées claires sur cette partie de la science. Quelle sagacité ne suppose donc pas une exposition précise d’opinions très nettes et très personnelles, appuyées sur des observations et sur des expériences compliquées ! Le nombre des corps étudiés par M. Laurent s’élève à plusieurs milliers peut-être, et lorsqu’on sait les difficultés qui accompagnent ce genre d’analyse, on est saisi d’admiration à l’aspect de tant de persévérance et de tant d’esprit. Son ouvrage a en outre ce mérite, fort grand à notre avis : il ose montrer qu’une théorie admise depuis plus de cinquante ans comme très rationnelle, qu’il ne venait à l’esprit de personne de combattre, que l’on professe encore chaque jour dans les écoles et dans les collèges, que les élèves reçoivent sans scrupule comme on la leur enseigne, et que l’on a fini par considérer comme tout à fait évidente, — que cette théorie, disons-nous, n’est nullement simple et a besoin de preuves. Nous sommes loin de donner la théorie de M. Laurent comme le dernier mot de la science ; mais nous admettons avec lui que les doctrines qu’il combat sont en effet très vulnérables, et que les principes et les expériences qui leur servent de base méritent au moins d’être minutieusement discutés. Son livre nous donne plus de doutes sur le passé que de certitude pour l’avenir de la chimie. Toutefois, quand même ses études et les