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dans la ville en triomphe, au son de la musique et au bruit des armes à feu. Des chanteurs, entourant Canot, beuglaient de leur mieux les louanges du puissant mongo blanc, dont un bouffon du roi s’obstinait à conduire le cheval.

Canot fut pendant son séjour à Tamisso le lion du moment. Le roi Mahomedoo, vieux nègre à tête rasée et à barbe blanche, le reçut étendu sur une couche faite de peaux de léopard. Le puissant roi fit pourtant la grimace, lorsqu’on lui apprit que Canot étant l’hôte du chef foullah Ali-Mami, il avait droit de voyager sans payer aucun des impôts de passage établis par les chefs nègres. Cependant la nouvelle que Canot voyageait dans l’intention d’acheter des esclaves et les présens qui lui furent remis dissipèrent bientôt sa mauvaise humeur, et il ordonna que les meilleurs appartemens de son palais fussent mis à la disposition du mongo. Canot eut à subir la curiosité des dames du harem, qui persistèrent, malgré ses instances, à vouloir contempler l’homme blanc faisant ses ablutions, et qui reculèrent d’horreur lorsqu’il découvrit à leurs regards la couleur de sa peau : la plus vieille, plus hardie que ses compagnes, s’approcha néanmoins, tâta la poitrine du voyageur, puis, regardant ses doigts avec une expression de dégoût, s’empressa de les essuyer contre la muraille. Les ablutions faites, notre aventurier alla s’asseoir à la table de Mohamedoo, où il eut le plaisir de dîner avec une cuillère d’argent qui provenait d’un voyageur européen mort quelques années auparavant. Dans toute sa vie, le roi n’avait vu que quatre hommes blancs.

Les voyageurs européens qui s’aventurent dans ces régions sont si rares, que Canot faisait événement partout où il passait. À Jallica, ville placée sous le commandement du chef Suphiana, les gardes refusèrent de le laisser entrer, et lui fermèrent les portes au nez en déchirant l’air du cri de furtoo, furtoo (l’homme blanc) ! Il n’était pas seulement un objet d’étonnement, il était un objet d’horreur et de dégoût. À Jallica, tout le monde s’éloignait de lui malgré la réception amicale que lui avait faite Suphiana, et la seule distraction nouvelle qu’il eut dans cette ville inhospitalière fut la musique nègre, exécutée sur des instrumens baroques, et les danses d’une Taglioni africaine couverte de la tête aux pieds de petites clochettes d’argent.

Enfin la caravane arriva près des frontières du royaume d’Ali-Mami ; là elle rencontra Ahmah de Bellah et son escorte. Le prince musulman fit mettre genou en terre à ses gens ; tous les yeux se tournèrent vers l’orient, et Ahmah, élevant les bras au ciel, entonna un cantique d’actions de grâce à Allah, qui avait conservé les jours de son frère. À Timbo, capitale d’Ali-Mami et ville africaine considérable,