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sans prendre ouvertement parti pour aucun des deux combattans, mais qui en revanche achetaient, avec un esprit de louable impartialité, les prisonniers de l’un et de l’autre camp. Cependant la fortune sembla vouloir abandonner Amarar. Depuis plusieurs mois, il était bloqué derrière ses grossières fortifications par son ennemi. Une sortie était nécessaire pour renouveler les approvisionnemens épuisés. Amarar appela son devin, et lui demanda quel serait le moment convenable pour opérer cette tentative. Après un nombre indéfini d’incantations et de momeries, le devin répondit que la tentative serait couronnée de succès dès qu’Amarar aurait baigné ses mains dans le sang de son propre fils. Le sauvage saisit un de ses enfans âgé de deux ans à peine, et lui écrasa la tête. La sortie fut heureuse, et le sorcier reçut un esclave pour récompense de sa prédiction. Quelque temps après, il assiégeait une des forteresses de son ennemi, et il était inquiet sur le résultat de l’attaque. Il consulta de nouveau le sorcier, qui répondit que la ville ne serait prise que lorsque Amarar serait retourné dans le ventre de sa mère. La nuit suivante, Amarar visita sa mère, et, pour accomplir cette obscure prophétie, commit le plus criminel des incestes. Il fut vaincu par son ennemi, décapité, et sa tête encore saignante fut jetée dans les entrailles palpitantes de sa mère, éventrée par son sauvage vainqueur.

Une querelle à peu près semblable à celle d’Amarar et de Shiakar avait éclaté à Digby entre deux cousins qui se partageaient la ville, et qui avaient longtemps vécu en bonne harmonie. Un des adversaires, ennuyé de voir la guerre traîner en longueur, appela à son aide un célèbre bandit des environs nommé Jen-Ken, et renommé par sa férocité. Jen-Ken et ses compagnons étaient cannibales et ne manquaient jamais, toutes les fois qu’ils allaient à une expédition, de se faire accorder le droit de revenir du carnage chargés de provisions destinées à leur garde-manger. Une nuit, l’alarme est donnée vers trois heures du matin, et bientôt les cris des femmes et des enfans se mêlent au bruit des coups de feu qui retentissent de toutes parts. Jen-Ken et sa bande assiégeaient la ville. Lorsque l’aurore se leva, elle éclaira un des plus abominables spectacles que la terre ait jamais vus. Chacun des compagnons de Jen-Ken tenait à ses côtés le corps mutilé et saignant d’une victime. Les captifs blessés et vivans encore étaient entassés pêle-mêle au milieu du groupe de ces sauvages ivres de leur triomphe. Tout à coup une musique barbare retentit, et une longue procession de femmes nues, compagnes des bandits, vint se joindre à leur cercle sinistre. Chacune d’elles était armée d’un couteau et portail, dans sa main un trophée de chair humaine. La femme de Jen-Ken arriva, traînant après elle le corps d’un enfant. Les affreux époux poussèrent en se regardant un cri de joie ;