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commerce intime de chaque jour, dans la fréquentation habituelle de ces grands hommes, il se manifestait à moi quelque chose de leur personnalité vraie. Même chez les Romains d’aujourd’hui, à tant d’égards si différens de leurs pères, j’ai surpris certains traits altérés sans doute, mais reconnaissables encore, du caractère des Romains d’autrefois. Enfin les contrastes entre l’état ancien de Rome et son état actuel n’ont pas dû être négligés, car ils offrent aussi un intérêt historique en montrant le chemin qu’ont fait en marchant les siècles. Je voudrais associer mes lecteurs à l’instruction et à l’émotion que m’a communiquées l’antiquité romaine présente et pour ainsi dire parlante dans ses débris.

Si l’on cherche l’ancienne Rome dans la Rome actuelle, on a d’abord un peu de peine à la trouver. Que sont quelques ruines épargnées par le caprice aveugle du temps en comparaison des innombrables monumens que le temps a détruits ? Les lieux même ont changé de face, une ville moderne a recouvert la ville antique. A cet aspect, on est tenté de s’écrier : Rome n’est plus dans Rome. On se tromperait, Rome est dans Rome, l’ancienne ville est dans la ville moderne; il reste assez de traces de la première pour la reconstruire par la science et la retrouver par l’imagination. On peut, il est vrai, la perdre de vue momentanément, mais on ne tarde pas à la ressaisir. Dans les quartiers les plus prosaïques, la poésie du passé reparaît tout à coup. La douane est dans le temple de Neptune, le Panthéon élève au-dessus d’une place populeuse la sereine légèreté de son portique à peu près intact; la colonne d’Antonin se dresse au milieu des fiacres, le portique d’Octavie abrite le marché au poisson. Montez au premier étage d’une maison voisine de la place Trajane, et vous trouverez une portion des portiques dont cette place était ornée; entrez chez un charpentier qui loge au Forum, il vous montrera parmi ses planches les restes de la Curie. Si vous voulez louer une loge d’opéra, il faut aller au Capitole, où les bureaux de la municipalité sont établis dans le Tabularium, dépôt des archives de la république romaine. Les plafonds des églises sont soutenus par des colonnes, et leurs parois sont revêtues de plaques de marbre empruntées aux temples païens; dans les murs des palais sont encastrés ici une inscription, là un bas-relief; il n’y a presque pas de maison où l’on n’ait placé au fond de la cour une fontaine dont l’eau coule jour et nuit, recueillie dans un sarcophage, image de la vie, qui filtre ici éternellement à travers les ruines. Sur la place du Peuple, la plus moderne de Rome, est planté un obélisque âgé de trente siècles. Perdu dans les détours des rues souvent étroites et tortueuses, on peut oublier un instant l’antiquité, qui semble disparaître; mais qu’on s’élève un peu, et soudain se montreront les grands restes du Forum,