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Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/673

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appartiennent à cette race mystérieuse des Pélasges que les historiens de l’antiquité nous montrent errans sur la terre, poursuivis et dispersés par la colère des dieux, enfin disparaissant du monde après avoir concouru à la civilisation des Hellènes, dont les Pélasges semblent avoir été les frères aînés. Cette race des Pélasges, à laquelle appartiennent les premiers habitans du sol romain, n’a laissé de son passage sur la terre qu’un vestige, mais il est gigantesque : ce sont ces murs, composés de pierres immenses et irrégulières, qu’on a d’abord appelés cyclopéens, et qu’on serait tenté d’attribuer aux Titans. On trouve de ces constructions singulières et puissantes en Asie-Mineure, en Grèce, dans l’Italie méridionale jusqu’au Tibre, — de la plaine de Troie à la campagne de Rome. Une partie de la Sabine, les montagnes qui s’élèvent au sud de Rome, en offrent de considérables débris. A Segni, ces murailles forment une triple enceinte. A Alatri, les murs de la citadelle pélasgique sont debout; ils ont quarante pieds de haut, quelques-unes des pierres huit à neuf pieds de longueur. Le faîte d’une des portes de la ville est formé par trois blocs posés l’un à côté de l’autre, et dont la largeur totale est de dix-sept pieds[1]. Ces masses n’ont point été entassées au hasard, telles que les fournissait la nature; les roches calcaires, sauf là où il s’est produit des éboulemens, se présentent en couches étendues et non en fragmens irréguliers. De plus, on voit que ces masses ont été taillées avec soin et ajustées avec art : l’agencement des angles saillans et des angles rentrans est d’une grande perfection, le joint des pierres parfait. Ces murs ne sont point un essai informe de constructions barbares; ils sont le produit d’un système adopté pour obtenir de la solidité, et demandaient une habileté plus grande que la superposition en assises de moellons taillés régulièrement. C’est un ouvrage de géans, mais de géans adroits.

On n’a point trouvé de murs pélasgiques sur le Palatin, où auraient pu en élever les Pélasges, s’ils vinrent en effet d’Arcadie y habiter au temps d’Évandre. Cet établissement fut probablement trop peu considérable pour exiger ces grands travaux. Norba, dont les murs pélasgiques existent encore sur le plateau sauvage d’où elle a disparu, Norba était, à cette époque reculée, bien autre chose que la petite bourgade du Palatin. Les Pélasges n’ont marqué ici leur présence que par un nom, et ce nom est celui de Rome même, ce nom prophétique de Roma, qui en grec veut dire la force, et qui n’a pas de sens en latin.

  1. Ces mesures ont été prises sous mes yeux par M. Noël Desvergers, avec qui j’ai eu le plaisir de faire une visite aux villes pélasgiques du pays des Volsques et des Herniques.