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vendredi saint et rappeler le souvenir du grand dimanche ? Vous déclarez donc la nature impuissante à développer le génie poétique, puisque vous appelez à votre secours l’émotion religieuse. Votre pensée primitive était juste, et je l’approuve en tout point; mais vous ne l’avez pas réalisée dans toute sa pureté.

Dans le second chant de sa Poétique, M. Brizeux nous montre la satire éveillée par les vices de la cité. A coup sûr, l’intention est excellente, mais il faut bien avouer que, malgré l’intervention de Molière, l’auteur n’a pas fait tout ce qu’il voulait faire. Les vices ne tiennent pas assez de place dans ce tableau satirique de la grande ville, et puis la satire n’est pas la seule forme poétique dont la cité puisse revendiquer l’origine : la comédie, la tragédie et le drame ont la même source que la satire, et nous aurions aimé à voir ces trois formes nouvelles s’épanouir, comme la forme satirique, en présence des vices de la cité. La comédie vit de ridicule, la tragédie et le drame vivent de passion. M. Brizeux s’est contenté d’effleurer ces trois formes poétiques sans se donner la peine d’en expliquer les secrets, et je crois qu’il a eu tort. Quoiqu’il n’ait jamais abordé directement ni la comédie, ni la tragédie, ni le drame, par cela seul qu’il est doué de facultés poétiques, il pouvait sur ces trois points nous donner d’utiles enseignemens. Il connaît la vie des villes, et n’ignore pas ce qu’elles contiennent de passions combattues, exaltées parfois jusqu’au crime par la résistance, ou poussées au suicide par le désespoir. Puisqu’il a sondé les plaies sociales, pourquoi donc nous les a-t-il voilées ? pour demeurer fidèle à son plan, il devait, après nous avoir montré l’idylle s’épanouissant en face de la nature, nous montrer la comédie, la tragédie et le drame soumis à l’empire du ridicule et de la passion, comme la satire à l’empire du vice.

Le troisième chant de la Poétique nouvelle, qui a le malheur de porter un titre païen, est à coup sûr le meilleur des trois. Toutes les pages consacrées à Saint-Pierre, au Vatican, sont pleines de grandeur et de vérité. Pour ceux qui ont visité l’Italie, c’est un souvenir fidèle et vivant; pour ceux qui l’ignorent, c’est une révélation. Ici pourtant, comme dans les deux premiers chants, je pense que l’auteur n’a pas réalisé complètement son plan primitif. Il voulait nous montrer dans Rome la source féconde et toujours renouvelée du sentiment épique; il s’est laissé entraîner par le plaisir de raconter ce qu’il avait vu, et quoiqu’il nous dise ses voyages avec un art exquis, le charme des épisodes le détourne trop souvent du but. Ce qui manque à ce troisième chant, si admirable d’ailleurs, c’est le sentiment historique, envisagé dans son acception la plus générale, c’est-à-dire le sentiment épique, car l’histoire et l’épopée se confondent dans les murs de Rome. Les ruines qui racontent les désastres du passé commentent le chant des poètes. Depuis les murailles de