Page:Revue des Deux Mondes - 1855 - tome 9.djvu/839

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faisaient pas faute de le soutenir, mais la contradiction n’était qu’apparente. De même que la chambre ne s’était pas prononcée en 1837 contre le mode des compagnies, de même le ministère n’avait point entendu contracter avec ce système une union indissoluble. M. Martin (du Nord) avait nettement exprimé que si le mode de l’exécution par l’état lui avait paru avoir chance de réussir devant l’assemblée, il n’aurait pas hésité à le proposer : pourquoi croyait-il aujourd’hui la chambre disposée à voter des crédits qu’elle eût refusés en 1837 ? — Voilà tout ce qu’en bonne conscience on pouvait lui demander. — Il n’y avait donc pas là une de ces situations fausses comme il s’en rencontre trop souvent dans nos annales parlementaires, et qui gênent la liberté de l’esprit en abaissant l’autorité de la parole. Cependant venir, devant une assemblée dont la moitié au moins était ouvertement hostile, trancher d’un seul coup un problème aussi controversé, c’était peut-être téméraire. N’aurait-il pas mieux valu, quand on proposait l’exécution immédiate de quatre lignes classées au premier rang, laisser au moins à l’avenir le soin de décider comment seraient exécutées les autres ? La méthode à suivre devait dépendre en effet des circonstances au milieu desquelles on se mettrait à l’œuvre. Dans une société aussi complexe que la société française, les opinions absolues ne gagnent rien à se placer en évidence, surtout sans nécessité.

Ainsi formulé avec une précision rigoureuse, le système de M. Legrand ne resta pas longtemps maître du terrain. La chambre avait accueilli l’exposé des motifs avec une froideur marquée, qui se manifesta à peu près sur tous les bancs, et qui devait promptement amener le ministère à des tentatives de conciliation. Le gouvernement alla même jusqu’à renier cet exposé, en le faisant qualifier de pièce accessoire. C’était pourtant à cette pièce ainsi caractérisée que l’opposition allait s’attacher avec une ténacité croissante. L’intention hostile de la majorité s’était décelée dans le choix de la commission chargée d’examiner la loi, et qui, tout en comprenant ce qu’on pouvait appeler l’élite des divers partis, empruntait à l’opposition ses noms les plus saillans, tels que ceux de MM. Odilon Barrot, Thiers, Billault, Arago, de Rémusat, Berryer, Duvergier de Hauranne, etc. M. Arago fut nommé rapporteur, et les raisons qui avaient engagé la commission à prendre sur les bancs les plus extrêmes de la gauche l’organe chargé d’exprimer sa pensée n’étaient pas difficiles à découvrir. N’ayant rien à ménager du côté de la monarchie et jouissant, sous le rapport scientifique, d’une incomparable autorité, M. Arago était merveilleusement placé pour accomplir une mission qui n’avait d’ailleurs rien d’offensant pour son caractère politique. Une opposition systématique faisait le fond de son rapport, mais elle était couverte par une sorte de cours de technologie appliqué aux voies ferrées et par les plus curieux détails sur l’état actuel de l’art. M. Arago n’était pas heureux toutefois dans ses conjectures sur l’avenir des chemins de fer, et il reléguait dans la région des rêves certaines espérances qu’il a vu lui-même dépassées par la réalité. La partie la meilleure de son travail est celle où, en face de l’accaparement de toutes les grandes lignes pour le compte de l’état, il défendait la cause de l’association. Mais pourquoi, lui qui savait mieux que personne comment les sciences grandissent, comment la pratique des sciences se